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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/15

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revenir à sa nature d’usurier, mon bon Monsieur, n’eussé-je que cette somme, je vous la donnerais… mais je n’ai rien… rien au monde… je leur ai tout laissé !

— Est-ce votre dernier mot ? demanda Rodach.

Le regard d’Araby fit le tour de la chambre.

Voulez-vous que je vende tout cela ? s’écria-t-il en montrant les loques amoncelées : voulez-vous ?…

— Je veux cent trente mille francs.

L’usurier se tordit les mains et répéta en gémissant :

— Seigneur ! Seigneur !

Rodach se dirigea vers la porte.

Araby le suivit avec des sanglots et des cris de détresse ; il le saisit par son manteau, et se traîna, brisé, à ses genoux.

Il priait, il pleurait, vous eussiez eu scrupule de soupçonner la douleur de ce père qui implorait en faveur de ses enfants !

C’étaient des accents si vrais, des paroles si passionnées ! Il les aimait ; sa vie était à eux, sa vie, son sang, son âme ! Et comment croire qu’il pût hésiter à sacrifier pour eux son or ?…

Oh ! il était pauvre ! Il ne pouvait pas !…

Ce fut une scène étrange. Rodach hésita plusieurs fois, sur le point de se laisser prendre à l’éloquence de cet amour de père.

Mais, parmi ces élans de passion, l’usurier perçait tout à coup ; Rodach, refroidi, se roidissait ; il voyait clair au travers de cette comédie. L’avare se perdait lui-même à vouloir jouer trop bien sa partie.

Que d’efforts ! Las de supplier et jugeant le cœur d’autrui à sa mesure, il se réfugiait dans la tromperie. C’était son centre. Vous l’eussiez vu fuir, se dérober comme Protée sous l’étreinte patiente de son adversaire, et, vaincu dix fois, chercher encore, avec une astuce enfantine, à faire prendre le change.

À tout cela, Rodach n’opposait que froideur et silence ; il laissait le vieillard s’épuiser en efforts infructueux, en protestations tôt démenties, en feintes, en promesses, en prières et même en menaces.

Car la raison du pauvre Araby fléchissait et chancelait tout aussi bien que son corps. La pensée de se dépouiller, jointe au choc moral qu’il avait