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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/163

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suivant des imaginations plus riantes, un joli couple, brûlant le pavé sur le chemin du bonheur.

Pour être du genre troubadour, cette dernière hypothèse avait néanmoins quelque succès.

On se représentait, derrière le voile opaque de ces stores, un beau garçon, capitaine d’état-major, auditeur au conseil d’État, ou chanteur italien ; ce sont là les trois métiers qui séduisent.

On se représentait une charmante jeune fille, rouge de honte et de plaisir, hésitant de tout son cœur entre les larmes et le sourire ; ou bien, une douairière puissante, empaquetée de soie, empanachée, bien conservée et toute fière d’avoir conquis son ténor ; une enfant de seize ans ou une femme de cinquante : il n’y a plus que celles-là pour courir en chaises de poste.

Les premières se font enlever ; les autres enlèvent.

On disait cela dans les équipages, et des choses bien plus fines encore, car le monde se fait observateur et, au lieu de s’occuper bonnement du beau temps et de la pluie, nos conversations dissertent comme des romans de mœurs.

La chaise de poste allait son train d’enfer, insoucieuse, assurément, de tout le bruit qui se faisait autour d’elle.

Une fois la nuit venue, les stores se relevèrent ; mais dès qu’on traversait une ville ou un village, les stores se baissaient de nouveau.

Chaque fois qu’en arrivait aux relais, une main sortait par la portière et payait grassement le prix des guides ; une bouche invisible ordonnait au nouveau postillon de brûler le pavé, promettant un royal pourboire.

Il y avait une circonstance assez remarquable : depuis une quinzaine, la route de Metz, surchargée de voyageurs, manquait bien souvent de relais. Aux bureaux de poste, on ne savait où donner de la tête. Les chaises qui passaient, quelle que fût la qualité de leur contenu, attendaient bien souvent, et se laissaient rejoindre par la lourde diligence.

C’était, mise en action, la fable du lièvre et de la tortue.

Mais notre chaise, à nous, ne subissait jamais ces incommodes retards. Des chevaux frais l’attendaient partout, comme si un courrier attentif l’eût précédée.