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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/200

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— En voilà un qui parle comme il faut l’allemand, au moins, se dit-on alentour.

— Le feu d’artifice, gracieux Monsieur, répondit un paysan, — doit être bien près de brûler… On dit que ça se verra de loin, et nous allons toujours ; mais nous n’espérons guère être arrivés à temps au bas de la montagne ; vous par exemple avec vos bons chevaux…

Les trois chevaux bondissaient, blessés à la fois par l’éperon, et un merci ! arrivait de loin à l’oreille du villageois, avant qu’il eût fini sa phrase.

Nous n’avons pas besoin de dire que les cavaliers étaient nos trois voyageurs de la chaise de poste aux stores baissés.

De Paris à la frontière, ils avaient trouvé des relais tout préparés ; mais une fois en Allemagne, la vitesse de leur course avait dû se ralentir. Ils craignaient la police, sans doute ; car plus d’une fois ils avaient quitté la grande route pour prendre des chemins de traverse.

Ils étaient en retard d’une heure sur leur propre calcul ; une heure, ce pouvait être la perte de leur espoir le plus cher, la victoire de l’usurpation criminelle et lâche sur le droit, la mort d’un homme !

Ils allaient, penchés en avant comme des jockeys dans l’arène ; leur éperons humides mordaient le flanc de leurs chevaux.

Ils allaient, debout sur les étriers, l’œil fixé au loin vers l’Occident, où devait paraître la première lueur du feu d’artifice.

Comme ils arrivaient au bas de la montagne, à l’endroit où nous avons vu jadis Jacques Regnault, le Madgyar Yanos et le prêteur Mosès quitter la route pour prendre la traverse de Bluthaupt, un trait de feu jaillit vers le couchant et jeta sur le ciel noir une gerbe d’étoiles.

Le cœur des trois frères cessa de battre.

Mais avant que la faible détonation de la fusée eût renvoyé jusqu’à eux son écho lointain, Otto avait enfoncé l’éperon dans le ventre fumant de son cheval.

— En avant ! s’écria-t-il d’une voix changée par l’angoisse ; en avant ! pour le sauver ou pour le venger !

Les chevaux, haletants, précipitèrent leur course furieuse ; ils traversèrent, ventre à terre, la vaste lande, et laissèrent à droite la grande