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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/205

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— Ça doit y être, Bonnet-Vert ! dit au-dessus de leurs têtes la voix enrouée de Pitois.

— Du temps que j’étais artilleur pour de bon, répliqua Mâlou, je passais pour un fameux pointeur… et si nous n’avions pas déserté, je serais peut-être bien capitaine à l’heure qu’il est… Quant à cette vieille affaire-là, j’en réponds… c’est visé comme au polygone ! et le petit va être taillé en trois mille morceaux…

Les bâtards de Bluthaupt n’étaient pas maintenant à plus d’une trentaine de pieds des travailleurs dont ils pouvaient distinguer tous les mouvements.

Ils s’arrêtèrent le cœur serré, la respiration coupée.

Immédiatement au-dessous de la lanterne qui était suspendue à une corde, ils apercevaient une sorte de mortier fixé solidement à une saillie de roc.

Les trois ouvriers étaient attachés par le milieu du corps et se soutenaient chacun à l’aide d’un câble amarré au sommet des murailles. Ils étaient là en un lieu où nul pied humain n’aurait pu descendre sans secours.

La lanterne jetait ses lueurs faibles dans un rayon de deux toises et montrait le roc grisâtre coupé à pic. Au delà, tout était nuit profonde.

— Comprenez-vous à présent ? dit Otto d’une voix contenue.

Goëtz et Albert mesuraient de l’œil la distance qui les séparait encore des travailleurs ; ils étaient comme atterrés ; ils ne répondirent point.

— La lettre de Gottlieb !… reprit Otto ; Franz est chargé de tenir la mèche, et il est à son poste déjà, peut-être ! En tous cas, on connaît l’endroit précis où il s’arrêtera pour mettre le feu… et c’est sur cet endroit que la pièce est braquée.

— Voyons vivement, papa Johann ! reprit en ce moment Mâlou, qui sembla vouloir compléter l’explication ; donnez-moi le boudin que je l’attache comme il faut… le petit Monsieur va se tremper lui-même sa dernière soupe… ça sera drôle !

Otto et ses frères recommençaient à gravir ; pendant une quinzaine de pieds encore, ils purent avancer en s’aidant de leurs poignards plantés dans les fentes du roc.