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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/206

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Mais arrivés à un certain endroit, où se ménageait une étroite plateforme qui permettait de se tenir debout, impossible de faire un pas de plus !

C’était à cet endroit-là même que les trois frères avaient disparu comme par magie la nuit de la Toussaint, en l’année 1824, alors qu’ils arrivaient de Heidelberg trop tard, hélas ! au secours de leur sœur Margarethe…

Otto se dressa sur la pointe des pieds et tâta le roc qui surplombait au-dessus de sa tête.

— Il faut monter ! dit-il.

Albert et Goëtz laissaient pendre leurs bras le long de leurs flancs.

Il y avait vingt ans qu’ils n’avaient vu ce lieu et le souvenir le leur avait montré moins impraticable ; maintenant ils n’espéraient plus franchir ce gigantesque obstacle qui leur barrait la route.

Il eût fallu des ailes…

— Entrons, dit Albert, si Franz est sur la muraille, nous saurons bien le trouver !

— Notre route secrète est bien longue, répliqua Otto, dont la voix assourdie peignait une terrible angoisse, et qui sait si nous avons encore une minute !… Il faut monter !

On entendit, en ce moment, la voix gaillarde de Mâlou, qui criait :

— Oh ! hé ! vieux Fritz ! tournez la manivelle ! la farce est jouée.

Un bruit aigre et discord se fit en haut des murailles ; cela ressemblait au cri d’un cabestan ; les trois ouvriers à la lanterne se prirent à remonter lentement.

— Virez ! virez ! mieux que ça, papa Fritz, dit Blaireau d’un ton moitié plaisant, moitié craintif ; ma montre dit deux minutes moins de huit heures, et je n’aimerais pas qu’on mît le feu avant que nous fussions là haut !

— Deux minutes ! répéta Otto, dont le courage semblait grandir, en ce moment de péril suprême ; si Dieu nous aide, c’est plus de temps qu’il ne faut !

Il entraîna Goëtz jusque sur le rebord de la plate-forme et le plaça juste sous la saillie du roc à laquelle Bonnet-Vert avait fixé le mortier.