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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/211

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On n’avait oublié qu’une chose, savoir : que le dernier comte était un homme faible et nul.

Tous les autres Bluthaupt, cela, depuis des siècles, s’étaient montrés si véritablement grands seigneurs ! doux aux faibles, rudes aux forts, généreux, bons, secourables…

Et si malheureux !…

On parlait d’Ulrich, assassiné par un poignard inconnu ; on parlait des trois bâtards de Bluthaupt, ces jeunes hommes à la taille héroïque qui s’étaient jetés seuls, un jour, dans une folle et vaillante bataille contre les têtes couronnées.

À eux s’attachait un étrange prestige ; c’était à voix basse et avec un mystérieux frémissement qu’on prononçait leurs noms aimés.

Hélas ! ils avaient été vaincus dans la lutte ! Le sort de leur famille avait pesé sur eux. On devait raconter longtemps aux veillées les bizarres aventures où se perdait leur téméraire courage, leurs déguisements, leurs dangers, leurs évasions merveilleuses.

Et le nombre de ces aventures ne pouvait plus s’accroître. Depuis un an, les lourds verrous de la prison de Francfort étaient entre eux et la liberté !

On ne devait plus voir ni le noble Otto, ni le bel Albert, au nom de qui battaient en secret tous les cœurs de femme, ni le joyeux Goëtz.

Une fois fermées, les portes de la prison de Francfort ne savaient plus ouvrir leurs battants doublés de fer. Otto, Albert, Goëtz, les braves seigneurs étaient là pour vivre et pour mourir !

Oh ! que de haine pour les trafiquants avares qui les avaient remplacés ! Car ces magnificences d’un jour étaient, pour les hommes du pays, comme un sarcasme sanglant.

Aujourd’hui, Geldberg jetait son or mal acquis par les fenêtres ; mais hier, il pressurait ses pauvres tenanciers ; mais demain, il allait faire payer à tous ceux qui tenaient à bail son immense domaine l’intérêt exorbitant de ces splendeurs folles.

Quand Dieu veut punir cruellement un pays, il tue les vrais seigneurs pour mettre des marchands à leur place.

Mais n’avait-on pas dit autrefois, tous ceux qui avaient plus de vingt ans s’en souvenaient, que le dernier Bluthaupt n’était pas mort ?