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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/212

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N’avait-on pas parlé d’un enfant dont le premier cri avait amené un sourire sur la lèvre mourante de la belle comtesse Margarethe ?

Un fils accordé par le ciel à la vieillesse du comte Gunther.

Cet enfant que les mauvais serviteurs de Bluthaupt avaient appelé le Fils du Diable…

Qui sait ? la Providence est patiente parfois durant de bien longues années.

On n’avait pas entendu parler, depuis lors, de ce pauvre enfant, qui n’avait jamais vu ni son père ni sa mère.

Mais on n’avait pas perdu tout espoir.

Il y avait des vieillards qui disaient en se signant que les Hommes Rouges, ces trois esprits attachés aux destinées de Bluthaupt, restaient parfois vingt et un ans sans paraître sur la terre.

Et ils demandaient à Dieu de vivre jusqu’à la fin de cette année, qui devait voir sans doute d’étranges choses.

Dans les montagnes du Wurzbourg, on écoute encore les vieillards ; on attendait.

Au milieu de cette nuit noire qui entourait le vieux château, les villageois se sentaient portés, à leur insu, vers ces fantaisies superstitieuses qui meublent les têtes allemandes.

Des ruines de l’ancien village jusqu’à la pelouse, on ne parlait que des mystères de la destinée de Bluthaupt, et le nom des trois Hommes Rouges courait de groupe en groupe.

Dans les ténèbres, ces légendes mystérieuses acquièrent un intérêt extraordinaire, elles gagnaient de proche en proche, pour ainsi dire ; des groupes de paysans, elles passaient parmi les invités surnuméraires, et de ceux-ci, franchissant les tentures de l’enceinte, elles arrivaient jusqu’au milieu des commensaux de Geldberg.

Le lieu était propice et le moment favorable ; il faut tuer l’attente…

Il y avait déjà près de quinze jours qu’on était réuni au château. Bien des allusions avaient dû être faites déjà et personne n’était sans avoir entendu parler, ne fût-ce que vaguement, de ces trois démons représentés sur l’écu de Bluthaupt. La curiosité se trouvait excitée de longue main ; tous ces Parisiens sont des Alcibiades qui changent partout où ils voyagent ;