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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/23

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de la volonté. Au bout d’une heure, le joueur d’orgue fut obligé de s’asseoir sur une borne, parce que ses jambes défaillaient.

Une voix venait de s’élever au dedans de lui ; son malheur était devant ses yeux : il n’y avait plus moyen de s’aveugler et de repousser obstinément la lumière.

C’était comme un livre dont les pages se déroulaient une à une. Jean demandait grâce ; les pages tournaient…

Le vieille mère Regnault, la prison, les cent vingt francs ! Gertraud infidèle ! tout cela revenait à la fois, et parmi ce chaos de navrantes pensées, une image railleuse se dessinait : Jean voyait une figure d’adolescent, belle, souriante, sereine, encadrée dans l’es boucles brillantes d’une chevelure prodigue.

Et son cœur bondissait de colère ; car cet adolescent, à la blonde chevelure de femme, était pour lui comme le démon du malheur !

Il avait vu cette bouche fraîche et rose s’appuyer, frémissante, sur la main de Gertraud ; il avait vu ce grand œil bleu luire joyeusement à l’heure fatale où le sort lui enlevait la rançon de sa vieille mère !

C’était cette main blanche et efféminée qui lui avait arraché son trésor, le salut de sa famille, écrasée sous la misère !

Oh ! Jean se souvenait maintenant ! les moindres détails revenaient lumineux à son esprit. Il avait l’âme brisée. Et il s’étonnait de n’avoir pas noué ses deux mains autour du cou de cet enfant qui le faisait si misérable !

À mesure qu’il éclairait sa mémoire, il voulait savoir davantage et ne rien oublier ; mais par un effet bizarre qui suit par fois l’ivresse complète, ses souvenirs s’arrêtaient brusquement à l’heure où il avait perdu connaissance dans le cabaret des Quatre Fils Aymon. Il cherchait, il ne trouvait rien. Parfois, une lueur fugitive le mettait pour un instant sur la voie, mais la lueur s’éteignait pour faire place à des ténèbres plus profondes.

Il savait seulement d’une façon vague, et sans pouvoir se l’expliquer, qu’un homme lui avait proposé de sauver sa vieille mère.

Qui était cet homme, et quel était ce moyen ? Jean avait beau faire ; à cette question point de réponse.