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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/24

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Las de se creuser la tête en vain, il tourna de force son esprit vers d’autres pensées ; l’idée lui vint de se vendre comme soldat. Mais ce n’était pas la première fois ; il s’était informé déjà : la prime était trop faible…

Que faire ? Engager son bien de plusieurs années chez le prêteur Araby ? Il y avait bien peu d’espoir que le vieillard, soupçonneux et défiant, pût accepter une transaction pareille ; mais quand tout manque à la fois, la plus faible chance semble une planche de salut ; Jean voulut essayer ; il quitta sa borne et se dirigea vers le marché du Temple. Araby venait de fermer sa porte pour mettre son entrevue avec le baron de Rodach à l’abri de toute oreille curieuse.

Jean demeura comme frappé de la foudre devant cette porte close ; on eût dit que c’était une espérance certaine qui venait à lui manquer tout à coup.

Le malheur est fait ainsi.

Jean se prit à errer sous le péristyle. À chaque instant, quelque pauvre homme, quelque marchande indigente, venaient comme lui, leur gage sous le bras, affronter l’antre du prêteur, et tous se lamentaient, déplorant l’absence inattendue du bonhomme Araby, de cette impitoyable sangsue qui les épuisait sans vergogne.

L’usure n’est-elle pas chez nous l’unique providence de la misère ?

Ils tournaient autour de l’échoppe ; ils frappaient à la devanture ; ils s’asseyaient consternés sur le seuil. L’absence d’Araby eût été, pour une bonne part des habitants du Temple, une réelle calamité.

Le bonhomme était pour ses clients ce que l’opium est aux Chinois, qui se tuent lentement à l’aide du narcotique chéri, mais qui meurent tout de suite, dès qu’on les en prive.

Jean s’était replongé dans sa rêverie sombre ; il se promenait depuis la porte d’Araby jusqu’à la devanture des Deux Lions, où Fritz, debout et appuyé contre la muraille, cuvait sa première chopine d’eau-de-vie, en regardant la foule avec des yeux morts.

À quelques pas de là, Mâlou dit Bonnet-Vert, et Pitois dit Blaireau, entourés d’un cercle compacte, faisaient tranquillement leur vente. Les agents de police abondaient, mais les deux voleurs de pantalons avaient