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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/231

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Franz revint un soir au château, la figure pâle et la chemise ensanglantée.

Il y avait eu chasse au sanglier du côté d’Esselbach, et Franz avait reçu dans la fourré une blessure à l’épaule.

Quelque tireur maladroit…

Cette blessure lui valut de bien doux regards, et redoubla l’intérêt tendre dont l’entourait la partie féminine de l’assemblée.

Elle lui valut mieux que cela.

Durant les deux ou trois jours qu’il fut obligé de rester dans sa chambre, Lia de Geldberg et Denise furent ses garde-malade.

Denise était là pour Franz, et Lia pour Denise.

Le séjour du château avait rapproché les deux jeunes filles.

Lia, qui souffrait, avait grand besoin d’une amie. Elle n’avait point revu Otto depuis cette rencontre à l’hôtel de Geldberg, qui lui avait donné tant de bonheur et à la fois tant de peine. Otto la fuyait : elle ne pouvait deviner pourquoi ; mais elle se souvenait avec un serrement de cœur des derniers instants qu’ils avaient passés ensemble.

Dès lors, une sorte de pressentiment lui avait annoncé son malheur.

Elle ne se plaignait point ; tout ce qu’elle souffrait restait au fond de son âme ; elle ne disait rien de sa détresse à Denise elle-même, qui l’avait faite sa confidente.

C’était une nature simple, mais fière et forte. Ceux qui voyaient son doux et mélancolique sourire l’auraient pu prendre pour une de ces jeunes filles qui cherchent, trop heureuses, d’imaginaires tristesses, et qui se reposent, vivantes élégies, dans des rêves sombres évoqués à plaisir. — Dieu seul voyait ses larmes.

Denise lui contait ces mille détails d’un amour heureux et combattu seulement par des obstacles de famille. Lia écoutait, attentive, émue : elle s’oubliait pour jouir du bonheur de son amie ; le souvenir navrant qui était au fond de son cœur se voilait un instant pour renaître plus aigu, aux heures de solitude.

Sa tristesse ne pesait jamais sur autrui. Elle savait sourire, malgré sa peine amère, et Denise elle-même ne soupçonnait pas la blessure mortelle de son âme.