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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/303

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Mais, tout en donnant trêve à la maison de Geldberg, il gardait une rancune dédaigneuse au malheureux chevalier de Reinhold.

À part la soustraction des lettres de change, Yanos, on s’en souvient, avait subi un outrage personne). : c’était avec l’aide de sa propre femme que le baron de Rodach était parvenu à le tromper.

Yanos aimait cette femme avec passion. Il considérait le chevalier de Reinhold comme l’auteur indirect de sa honte.

Dieu sait que le pauvre chevalier avait tenté tous les moyens de fléchir cette rancune. Il n’y avait point de caresse qu’il n’eût essayée, point de flatteries timides qu’il n’eût mises en usage ; rien n’y faisait ; le Madgyar restait froid, dédaigneux, hostile.

Et Reinhold sentait, qu’au moindre cas de guerre, il aurait à supporter le poids de ce courroux à grand’peine contenu.

Il redoublait d’efforts : la peur lui avait donné de l’esprit et des ressources.

Et comme dans son opinion, rien n’était plus dangereux que l’apparence de la crainte, il gardait de son mieux cet air de suffisance éventée que nous lui connaissons.

Sa conduite changeait, du reste, comme tournent les girouettes, au moindre souffle de vent : tantôt il descendait aux complaisances les plus exagérées, il était obséquieux, servile, rampant ; d’autres fois, il essayait le rôle de bouffon, il tâchait d’amuser et de plaire ; d’autres fois encore, singeant l’homme indispensable, il travaillait à faire croire que son génie seul avait sauvé la maison.

Enfin, à de longs intervalles, la velléité de regimber lui venait ; il prenait la prétention de se draper dans sa double qualité de gentilhomme et de chef de maison d’une banque millionnaire. C’était alors une curieuse lutte entre ses prétentions et sa peur ; il recevait des rebuffades d’un visage hautain et se redressait devant le mépris avec cette fierté poltronne des gens qui lèvent le front en baissant les yeux.

Mais ce matin, il n’était nullement embarrassé de son maintien ; la joie le débordait, et toute sa personne exprimait la plus complète satisfaction.

Il entra ; la porte, qu’il ne se donna pas le soin de refermer, resta entr’ouverte derrière lui.