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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/365

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dences. Esther avait répété les paroles de l’ermite, non sans un frisson de crainte, et Madame de Laurens avait inventé quelque fable pour ne point demeurer en reste. Car elle ne pouvait pousser la confiance jusqu’à parler de cette lente mort de l’agent de change, à laquelle l’ermite avait fait allusion.

— Je tremble, dit Esther. Qui peut être cet homme ?… si sa menace allait se réaliser !…

— Quelque envieux ! répliqua Sara, et quant à sa menace ne craignez rien, ma sœur… Julien vous aime et vous êtes riche.

Denise d’Audemer et Lia restaient également sous le coup des mystérieuses paroles de l’ermite. Lia était venue à ce bal parce qu’on le lui avait ordonné. Elle était faible et souffrante ; le choc éprouvé achevait de la briser. Elle s’appuyait au bras de Denise, émue elle-même, et perçait la foule pour se retirer ; car elle se sentait défaillir. Cette voix, qui lui défendait l’espoir, pesait comme un poids de glace sur son cœur. Elle sortit. Au moment où Denise rentrait seule dans le bal, Franz s’approcha d’elle et lui glissa rapidement quelques mots à l’oreille. Ils étaient surveillés de près, et madame d’Audemer, alléchée par un premier succès, gardait chèrement sa fille à ce bon chevalier de Reinhold. Julien aidait sa mère dans cette tâche ; car il était devenu Geldberg des pieds à la tête, et les prétentions de Franz lui semblaient un ridicule roman. Depuis le commencement du bal, Denise et Franz n’avaient pu se joindre. Julien était à quelques pas ; on voyait de loin la vicomtesse qui cherchait, inquiète. Il fallait profiter de l’occasion, mais n’en point abuser. Aux quelques mots de Franz, on répondit par un oui prononcé bien bas ; la dentelle du masque laissa voir un joli sourire, Denise rejoignit sa mère, et Franz passa. Comme il s’éloignait, un bras se glissa sous le sien.

— Vous voilà bien joyeux, monsieur ! dit une voix connue à son oreille.

Franz rougit comme une jeune fille qu’on surprend à faire des signes du haut de sa fenêtre. Dans la bonne foi de son âme, il plaignait sincèrement madame de Laurens ; il s’accusait de l’avoir abandonnée. Comme il aimait avec passion et qu’il sentait, dans toute sa plénitude, le bonheur d’être aimé, il devinait aussi la peine amère de ceux qu’on n’aime plus.