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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/366

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Il croyait avoir abandonné Sara. La vue de cette pauvre femme qui devait, selon lui, tant souffrir, mettait toujours au fond de son cœur de la tristesse et des remords. C’était Sara qui venait de passer son bras sous le sien.

— Que vous avez un goût gracieux, madame ! murmura-t-il pour dire quelque chose, et que vous êtes belle sous ce costume.

Petite détourna la tête à demi.

— Je croyais que vous n’aviez plus le loisir de remarquer cela, répliqua-t-elle en donnant à sa voix un accent de mélancolie ; il faut que nous nous expliquions franchement, monsieur… Le doute où je suis me fait plus souffrir que la certitude d’un malheur.

— Je ne vous comprends pas… balbutia Franz.

— Vous venez de donner un rendez-vous à mademoiselle d’Audemer ?

— Quelle idée !

— J’en suis sûre.

— Je vous proteste !…

— Pourquoi mentir ?… Je sais que vous l’aimez.

— Mais… pas le moins du monde !

Les yeux de Sara brillèrent à travers les trous du velours. On eût dit qu’ils avaient le pouvoir de percer le masque de Franz. Ils s’étaient arrêtés auprès d’un de ces piliers à bizarre architecture qui soutenaient la voûte de l’ancienne salle de justice des comtes. Ce pilier, comme tous les autres, présentait une gerbe lumineuse jaillissant du sol et arrivant jusqu’au monstre sculpté qui lui servait de chapiteau. Autour d’eux, la foule passait et repassait. Un seul personnage se tenait immobile de l’autre côté de la colonne. C’était un homme, et il avait eu la lugubre fantaisie de se déguiser en spectre. Un long voile blanc le couvrait de la tête aux pieds. Il n’y avait pas très-longtemps qu’on l’avait aperçu dans le bal pour la première fois. Aux joyeuses apostrophes qu’on lui avait adressées çà et là, il n’avait pas répondu un seul mot, et c’était à la rigueur qu’il jouait son rôle de fantôme. Il s’était promené dans la salle, semblant chercher quelqu’un à travers les trous pratiqués à son suaire. Son pas était tardif et chancelant. Il n’y avait guère qu’une minute qu’il s’était arrêté derrière le pilier. Depuis lors, on eût dit qu’il dévorait des yeux Franz et Sara…