Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/381

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Jarretière tranchait sur la soie de ses chausses, et une plaque de rubis, rouge et brûlante comme du feu, fixait à son feutre une plume rabattue. Ce costume faisait valoir les formes exquises d’une taille noble et robuste à la fois. Impossible de rêver un port plus noble et plus fier ! Depuis son entrée les femmes n’avaient plus d’yeux pour personne. Les jeunes gens à effet perdaient leurs peines, et la quatrième toilette de M. Abel de Geldberg n’avait pas même été remarquée. Le seigneur de la cour d’Élisabeth accaparait tous les regards. Il se promenait seul à travers les groupes et n’adressait la parole à personne. Il avait déjà passé deux ou trois fois devant l’endroit où les associés tenaient leur conférence secrète. En un certain moment, le nom du baron de Rodach, prononcé par l’un des associés, arriva jusqu’à son oreille…

— Qui parle du baron de Rodach ? demanda-t-il d’une voix haute et retentissante.

Les Geldberg restèrent comme frappés de stupeur.

Toutes les conversations s’arrêtèrent dans la salle. On regarda. Le seigneur de la cour d’Élisabeth s’avança, tête haute, jusqu’au centre du groupe formé par les associés. Là, il ôta son masque et l’on Vit la belle figure du baron de Rodach en personne. Les pierreries de son costume envoyaient à ses traits un reflet étrange. La fière pâleur de son visage semblait rayonner. Les associés baissèrent la tête sous le calme éclat de son regard. Il y avait en lui tant de force et de beauté, qu’on pouvait le croire au-dessus du reste des hommes. Au moment où il se démasquait, il y eut dans la salle un long murmure d’admiration. Parmi ce murmure, deux cris s’élevèrent que tout le monde entendit.

— Goëtz !… dit Esther…

— Mon frère Otto ! dit en pâlissant la vicomtesse d’Audemer.

Franz, qui s’était approché, murmura comme en un rêve :

— Le cavalier allemand !…

Le cri d’Esther frappa Julien au cœur comme un coup de poignard. Le cri de la vicomtesse fit tressaillir les associés de la maison de Geldberg. C’était toute une révélation. Leurs ennemis étaient au milieu d’eux. Ils avaient affaire aux fils redoutés du comte Ulrich… Le baron de Rodach s’inclina par deux fois, la première avec un sourire à l’adresse d’Esther,