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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/383

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contempler cet homme qui semblait exercer sur chacun une puissance si étrange.

— Je vais éveiller le Madgyar, dit Reinhold à voix basse.

— Il ne faut pas qu’il sorte vivant du château ! ajouta le dotteur.

Le bras du baron s’arrondissait autour de la taille de Sara ; il l’entraînait, défaillante et brisée. Toutes les femmes auraient voulu être à la place de madame de Laurens…

Lia de Geldberg était seule dans sa chambre. Il y avait longtemps déjà qu’elle avait quitté le bal, souffrante et incapable de supporter ce fracas joyeux qui faisait un contraste blessant à l’amertume de ses pensées. Depuis quinze jours, Lia craignait ; l’espérance l’abandonnait peu à peu ; aujourd’hui, le désespoir était venu. Tout au fond de son cœur résonnaient encore les paroles prononcées par l’ermite ; on lui avait dit d’espérer en Dieu, parce qu’il n’y avait plus pour elle de bonheur sur cette terre… C’était une belle âme, toute pleine de résignation douce et de force ; mais ce dernier coup la frappait trop cruellement. Son courage fléchissait. Il faut du temps pour apprendre cette fermeté morne des cœurs vaillants qui n’espèrent plus… Lia était couchée sur son lit, dans son frais et gracieux costume de bal. Sa robe blanche, encore agrafée, dessinait ses formes charmantes, et sur son front pâle se posait encore la riante couronne de fleurs. Il faisait froid, mais son corps brûlait ; la fièvre agrandissait ses yeux et changeait son regard. Elle avait essayé de prier. Hélas ! en ces premières heures d’angoisse l’âme s’affaisse, et un voile épais dérobe la pensée de Dieu ; la bouche ne sait plus trouver ces mots d’oraison qui consolent. La pauvre enfant, agenouillée, était restée muette avec de grosses larmes sous la paupière et un nom dans le cœur : le nom d’Otto, qu’elle aimait davantage peut-être, à mesure qu’elle espérait moins. Elle s’était relevée, ne voulant point penser d’amour dans l’attitude sainte où l’on parle à Dieu ; elle s’était assise sur le pied de son lit. Oh ! que ces heures sont amères, où l’on voit pour la première fois, glisser et fuir, comme les perles détachées d’un collier qui se brise, tous les espoirs aimés !… Chaque bonheur devient une peine ; les souvenirs chers s’empoisonnent, et pour chaque sourire rappelé, il faut une larme. Lia, la tête penchée, les mains jointes sur ses genoux, se souvenais, la pauvre fille !