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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/417

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ils tremblaient. Les quatre associés avaient reconnu en même temps la chambre du meurtre, où ils n’avaient pas remis les pieds depuis vingt années. Yanos glissa un regard vers la porte comme s’il eût songé à la retraite ; il était faible contre les funèbres souvenirs qui l’assaillaient. Mais il rencontra en chemin le regard froid et dur de madame de Laurens. Il resta immobile.

Le Madgyar ne bougea pas. Sara s’avança vers lui et lui serra le bras avec la force d’un homme.

— Vous avez donc peur ! dit-elle d’une voix basse mais stridente.

Yanos ne sentit point l’aiguillon comme d’habitude.

— Il y a vingt ans, pensa-t-il tout haut, durant cette nuit, quelqu’un médit aussi : Avez-vous peur ?… je vins jusqu’à cet endroit, où mon pied se pose maintenant… et l’épée d’un homme mort croisa mon épée.

Sara fit un geste de colère et se retourna vers les trois autres associés.

— Et vous ?… dit-elle.

Personne ne répondit. Elle arracha le poignard que Reinhold tenait de la main gauche.

— Lâches ! lâches ! lâches !!! répéta-t-elle par trois fois ; il n’y a donc ici que moi pour avoir le cœur d’un homme !

Elle brandit son arme et s’avança résolument vers le lit. Le rouge monta enfin au pâle visage du Madgyar. Il ne dit que deux mots :

— Arrière, femme !

Puis il s’élança vers le lit avec un mouvement de rage et fit glisser les rideaux sur les tringles.

Son bras, levé pour frapper, retomba comme paralysé le long de son flanc, tandis que les trois associés et Petite, elle-même, poussaient un cri de terreur… C’était quelque chose d’étrange et qui devait en effet remplir leurs cœurs d’épouvante. Au-devant du lit de Franz, les associés de Geldberg revoyaient cette apparition terrible qu’ils avaient vue, vingt ans auparavant, à la même place, près du berceau du fils de la comtesse Margarethe : Trois hommes, de taille athlétique, vêtus de longs manteaux rouges et l’épée nue à la main. Cette fois seulement ils avaient la tête découverte et leurs traits ne se cachaient plus sous les larges bords de leurs feutres. C’étaient trois nobles visages, fiers et graves, trois visages si exac-