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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/551

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qui est à toute entreprise comme un premier gage de succès. On entoura le chef des révoltés d’une mystérieuse auréole, et chacun eut à raconter sur son compte quelque miraculeux exploit. Les gens de la forêt devinrent populaires à vingt lieues à la ronde. Ils eurent leurs généalogistes, et les savants du crû prirent la peine de rattacher leur association, par des liens historiques et d’ailleurs incontestables, à la fameuse société politique des Frères bretons, qui, au milieu du siècle précédent, avaient failli enlever la Bretagne à la domination française.

Dès l’origine du soulèvement, les principaux conjurés s’étaient réunis en société secrète, sous les ordres de ce chef qui devait bientôt se rendre si redoutable. En ce temps déjà, les hommes de la forêt étaient les partisans naturels de cette association ; mais rien n’était organisé, et les membres affiliés de prime abord avaient tout à craindre. Ce fut sans doute ce danger qui leur inspira la pensée d’entourer leurs actions d’un mystère absolu, et de ne jamais quitter leur retraite sans avoir le visage couvert d’un masque. Ce masque était tout simplement un fragment de peau de loup. De là le surnom qu’on leur donna d’abord, comme un méprisant sobriquet, et qui, peu de mois après, était prononcé avec terreur dans tout le pays de Rennes.

Les choses subsistèrent ainsi pendant quinze ans, avec diverses chances de succès et de revers pour les Loups, mais sans que jamais les troupes du gouvernement pussent entamer le centre de leurs opérations.

Pendant un temps assez long, les gentilshommes du voisinage avaient conclu avec la forêt une sorte de trêve tacite, et l’intendant royal, découragé, avait, durant le même temps, discontinué ses efforts. Mais Béchameil, six mois avant l’époque où commence notre histoire, eut la malencontreuse idée de recommencer les hostilités. L’explosion fut terrible. Presque toutes les loges devinrent désertes le même jour. Charbonniers, tonneliers, vanniers, etc., se rassemblèrent et coururent à la retraite permanente du noyau de l’affiliation. Là, ils trouvèrent, comme toujours, des chefs et des armes ; le lendemain, la révolte était de nouveau aux portes de Rennes ; le surlendemain, l’hôtel de l’intendant royal était au pillage.

En conscience, il fallait bien que les gens de la forêt trouvassent leur vie quelque part. On leur défendait de manger paisiblement le fruit de leur labeur ; ils ne travaillèrent plus, et ce fut tant pis pour leurs voisins. Les soldats du roi, par représailles, démolirent ou incendièrent les loges qui bordaient les grandes allées ; mais c’était là peine perdue. Les Loups savaient où trouver ailleurs un asile ; ils apprenaient en outre à s’indemniser largement des pertes qu’on leur faisait subir.

Après l’intendant royal, ce fut Hervé de Vaunoy qui reçut les plus rudes atteintes de leur méchante humeur. Hervé de Vaunoy avait beau faire mystère de sa rancune profonde contre les Loups, qui, à diverses reprises, avaient cruellement maltraité ses domaines ; il avait beau se cacher pour conseiller la rigueur au pacifique Béchameil : chaque fois que, derrière le rideau, il suggérait quelque mesure préjudiciable aux Loups, ceux-ci se vengeaient immédiatement. On eût dit, tant le châtiment suivait de près l’offense, que le chef des Loups