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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/552

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avait au château de la Tremlays des intelligenees ou des espions. Tout récemment, Vaunoy ayant ouvert l’avis que, pour détruire l’insurrection dans sa racine, il fallait attaquer la Fosse-aux-Loups et sonder le ravin, son manoir de Bouëxis fut, vingt-quatre heures après, dévasté de fond en comble.

En somme, les Loups n’avaient point d’ennemi plus mortel qu’Hervé de Vaunoy, et ils lui rendaient depuis longtemps haine pour haine.

Jude savait une partie de ces choses, et devait sous peu apprendre le reste. Dans cette querelle, son choix ne pouvait être douteux. Le souvenir de son maître et ses vieilles sympathies le portaient vers les Loups, qui étaient des Bretons, comme disait dame Goton avec emphase, mais Jude n’avait ni la volonté ni le loisir de prêter l’appui de son bras aux gens de la forêt. Sa mission était définie ; les dernières paroles de Treml mourant retentissaient encore à son oreille, et il eût regardé comme un crime de s’arrêter sur la voie tracée par le suprême commandement de son maître, ou même de s’écarter un instant du droit chemin.

Il était huit heures du matin à peu près lorsque Jude arriva en vue de la croix de Mi-Forêt. Ce lieu était en grande vénération dans tout le pays, et les bonnes gens des alentours avaient surtout une dévotion en quelque sorte patriotique pour une petite madone dont la niche était pratiquée dans le bois même de la croix. C’était à cette vierge, connue comme la croix sous le nom de Notre-Dame de Mi-Forêt, que Nicolas Treml avait dit son dernier Ave en quittant la terre de Bretagne, qu’il ne devait plus revoir. Jude mit pied à terre devant le monument rustique, s’agenouilla et pria.

Quelques minutes après, il apercevait, à travers l’épais branchage d’un bouquet de hêtres, la fumée du toit de Pelo Rouan, le charbonnier.

La loge de Pelo se cachait au centre du bouquet, et s’élevait, adossée à un petit mamelon couvert de bruyères, où il avait pratiqué ses fours à charbon. L’aspect de ce lieu était agreste, mais riant, et un petit jardin, tout empli de fleurs comme une corbeille, donnait à la cabane un air de calme et de bien-ètre.

Ce jardin était le domaine de Marie. C’était elle qui plantait et arrosait ces fleurs.

Au moment où Jude dépassait les derniers arbres, Marie, assise sur le pas de sa porte, tressait avec distraction un panier de chèvrefeuille. Son esprit n’était pour rien dans son travail, mais ses petits doigts blancs, roses et effilés pliaient si dextrement les branches flexibles et parfumées, que le travail ne se ressentait point de sa distraction. En tressant, elle chantait, mais ce n’était pas non plus son chant qui captivait sa pensée. Sa voix pure et fraîche s’échappait par capricieuses bouffées ; la mélodie s’interrompait brusquement, puis reprenait tout à coup, tantôt mélancolique et lente, tantôt vive et joyeuse, toujours charmante.

Ce qui occupait Fleur-des-Genêts tandis qu’elle travaillait ainsi, seule, sur le pas de sa porte, c’était Didier, le beau capitaine. Elle songeait à son bonheur de la veille. Elle l’avait revu, plus beau qu’autrelois, plus tendre que jamais ; si tendre et si beau que les rêves de l’attente et de l’absence étaient dépassés. Elle était heureuse et savourait avidement sa Joie ; elle n’en voulait rien perdre et chassait soigneusement toute pensée de doute et de crainte. Pourquoi douter ? pourquoi craindre ? n’était-il pas aussi fier et noble de cœur que de