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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/609

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La chambre de Didier était au premier étage. La fenêtre qui s’ouvrait sur la cour se trouvait entourée de vigoureuses pousses de vignes, dont les branches bossues descendaient tortueusement jusqu’au sol. Fleur-des-Genêts s’élança, légère comme un oiseau. La vigne lui servit d’échelle. L’instant d’après elle sautait dans la chambre du capitaine.

— Où est-il ? où est-il ? s’écria-t-elle.

Alix lui montra le lit. Fleur-des-Genêts se mit à genoux au chevet de Didier.

— Comme je souffrais ! dit-elle en essuyant une larme qui n’avait pas eu le temps de sécher et qui brillait au milieu de son sourire ; — il y avait bien longtemps que je criais et que je chantais, afin qu’il me reconnût ; je tremblais d’être arrivée trop tard… Merci, Alix… merci, ma bonne demoiselle… Il dort… il ne sait pas que sa vie est en danger…

— Et comment le sais-tu, toi, Marie ? demanda mademoiselle de Vaunoy qui songeait à son père et avait peur. — Comment je le sais, Alix ?… Ne sais-je pas tout ce qui le regarde ?… Mais comme il est beau ! voyez, mademoiselle.

Les yeux des jeunes filles caressèrent en même temps le visage du capitaine.

— Oui, dit Alix tristement, tu es bien heureuse, Marie !… Mais le danger qui le menaçait est-il donc connu dans la forêt ? — C’est de la forêt que vient ce danger, mademoiselle. Ils sont partis ce soir de la Fosse-aux-Loups pour tuer mon beau capitaine… C’est Dieu qui a permis que les Loups n’aient point trouvé encore la chambre où il repose, et il faut l’éveiller bien vite.

— Les Loups ! répéta mademoiselle de Vaunoy avec terreur ; — les Loups veulent-ils donc aussi l’assassiner ?

— Non, pas eux, mais un misérable dont j’ignore le nom, et qui leur a ouvert les portes de la Tremlays… Mon père déteste le capitaine, parce qu’il est Français et que je l’aime… Mon père a dit : Je ne frapperai pas, mais je laisserai frapper… C’était dans notre loge qu’il disait cela hier, et moi j’écoutais derrière la porte de ma chambre. Je me suis jetée aux genoux de mon père ; je l’ai prié en pleurant de me laisser sauver Didier ; mon père m’a enfermée dans ma chambrette… J’ai bien pleuré !… puis j’ai repris courage. Regardez mes mains, Alix, elles saignent encore. J’ai brisé les volets de ma fenêtre, j’ai sauté dehors et je suis accourue à travers les taillis… Mais les murs du parc sont bien hauts, ma chère demoiselle. J’ai donné mon âme à Dieu avant de les franchir, car je croyais que l’heure de ma mort était venue. Notre-Dame de Mi-Forêt a eu pitié de moi, mon beau Didier est sain et sauf, et je vous trouve veillant sur lui comme un bon ange.

Elle s’interrompit tout à coup en cet endroit. Un nuage passa sur son front.

— Mais pourquoi veillez-vous sur lui, Alix ? demanda-t-elle.

L’âme de Marie venait d’apprendre la jalousie. Ce fut un mouvement passager. Alix n’eut pas même besoin de répondre. Fleur-des-Genêts, en effet, pour la première fois qu’elle était entrée, détourna son regard des traits chéris de Didier. Elle aperçut les trois cadavres et poussa un cri d’horreur.

— Notre-Dame de Mi-Forêt a eu pitié de toi, ma fille, répéta mademoiselle de Vaunoy d’un ton lent et grave. — Deux de ces hommes qui sont