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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/610

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maintenant devant Dieu étaient des assassins… je les connais. L’autre, que je ne connais pas, avait un cœur généreux et un bras vaillant… Plût au ciel qu’il vécût encore, car Didier n’est pas hors de péril… Ce sommeil étrange m’effraye, — et je sais que les ennemis du capitaine sont capables de tout.

Marie prit la main de Didier et la secoua.

— Éveillez-vous ! dit-elle ; éveille-toi…Il reste immobile…

— J’ai lu par hasard, dans ces livres frivoles et mensongers dont ma pauvre tante fait ses délices, murmura Alix en se parlant à elle-même, que le lâche endort parfois le brave qu’il veut frapper à coup sûr… Pendant le souper… Je n’étais pas là ! — Peut-être a-t-on versé au capitaine ?… Sans cela, tant de bruits divers ne l’eussent-ils pas réveillé ?

— Mais voyez donc, Alix ! criait Marie. Il ne bouge pas !

Elle devint pâle et frissonna de la tête aux pieds.

— Ce sommeil ressemble à la mort ! ajouta-t-elle. — Ce sommeil y pourrait mener, ma fille, répondit Alix dont les beaux traits avaient perdu leur jeune caractère et qui semblait avoir mûri de dix ans depuis la veille. — Es-tu forte ?

— Je ne sais… Au nom de Dieu ! aidez-moi plutôt à l’éveiller.

— Il ne s’éveillera pas… Aide-moi à le sauver.

Fleur-des-Genêts, soumettant son esprit à l’intelligence supérieure de sa compagne, vint vers elle et l’implora du regard, attendant d’elle seule le salut de Didier.

Alix souffrait cruellement et n’avait point le loisir de reposer en sa souffrance. La vue de cette enfant, dont l’amour heureux tuait son espoir, à elle, qui ne s’en doutait pas seulement, torturait son âme sans y pouvoir jeter la haine ou l’envie. C’était une noble fille qui eût mérité un père meilleur. Elle se pencha sur Fleur-des-Genêts et mit à sa joue un baiser de mère.

— Quand il t’aura faite sa femme, dit-elle, tu seras bonne et douce, n’est-ce pas ? Pour son amour, tu lui donneras tout ton cœur… Oui… cela est mieux ainsi… Tu le rendras heureux. — Je ne vous comprends pas, Alix, répondit Marie ; vous parliez de le sauver…

Mademoiselle de Vaunoy tressaillit.

— Tu as raison, dit-elle ; hâtons-nous et appelle à toi tout ton courage, ma fille.

Elle passa rapidement le poignard de Jude à sa ceinture et donna celui de Lapierre à Marie, qui ouvrait de grands yeux et ne devinait point le projet de sa compagne.

— Tu es fille de la forêt, reprit Alix : tu sais monter à cheval ; — tu aimes ; lu dois être forte… Il nous faut agir en hommes cette nuit, ma fille. Fais comme moi, et si dans les corridors une arme se lève sur Didier, fais comme moi encore, et meurs en le défendant.

Un feu héroïque brillait dans les yeux d’Alix, tandis qu’elle parlait ainsi. Fleur-des-Genêts la contempla un instant, puis baissa la tête en silence.

— As-tu peur ? demanda mademoiselle de Vaunoy avec pitié. — Non, répondit Marie ; mais je crois que vous l’aimez, Alix.