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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/611

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L’enthousiasme de celle-ci tomba comme par magie.

— Tu crois que je l’aime ! répéta-t-elle d’une voix étouffée ; — mais tu penses donc à toi, ma fille, en ce moment où peut-être il va mourir !… Tu crois que je l’aime !… Mais je sais que tu l’aimes, toi, je sais qu’il t’aime, et je ne songe qu’à le sauver !… Écoute, Marie, depuis un an je suis bien malheureuse ; — mais je souffrirais trop si je te croyais indigne de lui… Je l’aimais ! ajouta-t-elle avec une soudaine violence ; — je l’aimais avant toi, plus que toi… que t’importe ?

— Oh ! vous êtes si belle ! murmura la pauvre Fleur-des-Genêts en pleurant.

Alix avait l’œil sec. Elle appela sur sa lèvre un de ces sourires tout imprégnés de courageuse souffrance qui font aux faibles frayeur et compassion, tant ils accusent de douleur et de force.

— Donne-moi ta main, enfant, dit-elle. Il est à toi… je ne l’aime plus !

— Mais lui ?…

— Il ne m’a jamais aimée ! Tiens ! je te sacrifie mon dernier souvenir.

À ces mots, elle passa au coup de Didier endormi la médaille de cuivre qu’elle avait prise à Lapierre la nuit où celui-ci avait tenté d’assassiner le jeune capitaine dans les rues de Rennes. Marie n’eut point le temps de voir en quoi consistait cette offrande, car Alix reprit aussitôt avec énergie :

— À l’œuvre, maintenant, ma fille ! Il faut que Didier s’éveille hors de la maison de mon père.

Alix, avec une vigueur dont nul n’aurait pu la croire capable, surtout en ce moment où elle venait de quitter le lit où la clouait la fièvre, souleva les épaules de Didier et fit signe à Marie de prendre le capitaine par les pieds. Marie obéit passivement, comme un enfant qui suit, sans les discuter, les ordres de son maître. La couverture fut passée sous le corps de Didier, et les deux jeunes filles la prenant par les quatre coins, comme une civière, enlevèrent leur vivant fardeau.

Elles fléchissaient sous le poids. Néanmoins, elles s’engagèrent résolument dans les longs corridors de la Tremlays. De toutes parts, on entendait les rires et les chants des Loups qui, par bonheur, sérieusement occupés à boire, ne troublèrent point la retraite des deux jeunes filles. Elles traversèrent sans obstacle les sombres galeries du château, et arrivèrent au seuil de la cour, où elles déposèrent le capitaine, afin de reprendre haleine.

Fleur-des-Genêts haletait et tremblait. Alix respirait doucement et ne semblait point lasse. Sa compagne la contemplait avec une admiration mêlée d’effroi.

Alix et Fleur-des-Genêts s’étaient connues dès l’enfance. Leur liaison ne se ressentait point de la différence de leur position sociale. Il y avait bien dans l’affection de Marie un peu de respect, mais ce respect était tout instinctif et n’avait rien à faire avec la fortune ou le rang de mademoiselle de Vaunoy.

Quant à celle-ci, elle aimait réellement Marie, et comme son âme était noble entre toutes, un homme venant à se placer entre elle et sa pauvre compagne ne put point changer son cœur. Peut-être, si le devoir n’eût point commandé, eût-elle défendu son bonheur, comme c’est le droit de toute femme, mais son sacrifice était fait dès longtemps, et il ne lui avait point fallu d’effort pour chérir sa rivale.