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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/810

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vivace de la haine bretonne contre la domination française, que ces malheureux étaient protégés encore sous main à cause de leur nom de Loups.

On se souvenait de ces vaillants hommes de la forêt qui avaient tenu si longtemps en échec autrefois les soldats du roi. On se souvenait de leurs faits et des attaques hardies qu’ils avaient dirigées contre Rennes même.

C’étaient de vrais Bretons !

Ils avaient jeté là leur mousquet, ils étaient rentrés paisiblement sous le toit de chaume de leur loge.

Mais beaucoup de gens aimaient à penser qu’il n’y avait rien de fini entre la province et le roi de France, et que la Bretagne n’avait pas encore dit son dernier mot dans la lutte séculaire.

Ceux-là se complaisaient à voir toujours dans les Loups ce qu’ils n’étaient plus depuis longtemps déjà.

Et cette poignée d’hommes, vivant de brigandages, tombés au plus bas du vice, était entourée encore de secrètes sympathies.

On les avait chassés de la Fosse-aux-Loups, et il s’était trouvé des gens pour déplorer ce fait comme une injustice.

Les vers que nous avons mis en tête de ce récit expriment une vérité éternelle. Il faut de longs siècles, après toute conquête, pour faire oublier aux vaincus le fiel de leur rancune, et aux vainqueurs l’orgueil de la bataille gagnée…

La Bretagne avait été vaincue pacifiquement et à l’aide de la diplomatie matrimoniale, mais comme elle aimait à se battre et qu’elle savait se battre, elle n’en gardait que mieux son implacable colère.

Sans cette protection occulte qui entourait le reste des Loups, ce faible débris eût été anéanti depuis bien longtemps.

Mais la protection qu’on leur accordait était en quelque sorte négative et n’allait point souvent jusqu’à secourir leur misère, ils pillaient çà et là maigrement et gagnaient à peine de quoi payer le torrent de cidre aigre, qui coulait en leur honneur au cabaret de la Mère-Noire.

Tous, tant qu’ils étaient, ils auraient risqué leur peau pour quelques sous.

Francin Renard savait parfaitement cela, et c’était le motif de son apparition au cabaret du Champ-Dolent.

À le voir ainsi prendre un air de circonstance et humer son cidre à petites gorgées, l’assemblée conçut de vagues espoirs.

On savait que Carhoat n’avait point une conduite très-différente de celle des Loups, mais que seulement il était plus habile à prendre ses mesures.

On se disait que, peut-être, il serait possible de trouver un autre asile en quelque lieu de la forêt de Rennes, si le vieux marquis voulait s’en mêler.

— Allons, monsieur Renard ! dit l’un des hommes à peau de bique, qui se nommait Pierre Barriais : — déboutonnez-vous avec nous… m’est avis que vous venez nous causer pour quelque affaire ?…

— Ça se pourrait bien, répondit Francin Renard. — Mais je ne vois pas beaucoup de bons gars ici autour…