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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/811

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— Nous en trouverons, dit Jozon, — tant que vous voudrez !… Est-ce un fameux coup, père Renard ?

— Ça se pourrait bien, répondit celui-ci, qui reprit aussitôt son air de réserve.

La curiosité générale était de plus en plus excitée.

Toutes les tables furent abandonnées peu à peu, et un large cercle se forma autour de Francin Renard, qui fumait sa pipe courte et noire avec un calme d’empereur.

Il y a pour le moins autant de diplomatie chez le paysan breton que chez le Normand, et c’est, dit-on, chose éminemment curieuse que de voir les deux races lutter de stratagèmes et de ruses aux foires de la Basse-Rretagne…

Francin Renard, voyant son auditoire en bon point, prit son temps et entama le marché.

Ce furent des demi-mots auxquels vous n’eussiez rien compris, des excitations patelines, des métaphores téméraires, des arguments subtils qui décourageraient les plus retors de nos avocats parisiens…

Les truands voulaient savoir quelque chose, et Francin prétendait ne rien leur dire. Les truands voulaient être payés grassement, et Francin serrait de son mieux les cordons de la bourse.

Ils étaient, comme on le voit, loin de s’entendre.

Pourtant, après trois heures de discussion animée et un nombre incalculable de pots de cidre vidés, on parvint à se rapprocher, grâce à l’éloquence supérieure de Francin Renard.

Ce brave garçon avec son ça se pourrait bien, répondait à tout et mettait en poudre les raisonnements les plus meurtriers.

Vers deux heures de relevée, il mit sa pipe dans sa poche avec son briquet, sa corne et son cuir à tabac.

Puis il tendit sa large main noirâtre, où chaque Loup vint frapper un grand coup en signe de marché conclu.

On but un dernier coup pour trinquer comme des amis, et Francin se leva.

— Vous êtes dur, monsieur Renard, dit Jozon : — mais enfin, ce qui est fait est fait… va pour l’écu de six livres !

— C’est bien payé ! grommela Renard. — C’est trop payé… mais ce qui est fait est fait… vous aurez chacun un écu de six livres, puisque j’ai été assez sot de vous le promettre… et vous serez trente bons gaillards à m’attendre ce soir, à côté du pont de planches qui est sur la Vanvre, au bas de l’avenue de Presmes.

— Nous y serons, répondirent les Loups.

Francin Renard sortit, remonta sur son bidet, qu’il avait attaché à la porte, et reprit la route de la forêt.

Tout le long du chemin il souriait sous son grand feutre en éteignoir, et résumait ses réflexions en répétant tout bas :

— Ça se pourrait bien ! ça se pourrait bien !…