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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/821

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devoir comme un convive aimable au milieu d’une réunion en bonne humeur.

— Y aurait-il de l’indiscrétion, monsieur mon ami, dit-il en tendant son verre au vieux veneur, — à vous demander ce qui nous prive de la présence de ces dames.

M. de Presmes lui versa gravement à boire et répondit :

— Nous vivons dans un malheureux temps, monsieur le chevalier, — et dans un malheureux pays !… vous en devez savoir quelque chose, puisque la confiance de Sa Majesté vous a honoré d’une mission qui serait superflue en des circonstances plus tranquilles… Ces environs ne sont pas sûrs pour un fidèle sujet du roi… et je suis obligé de transporter ma maison à Rennes avant l’époque où, d’ordinaire, je prends mes quartiers d’hiver.

Le front de Kérizat se plissa, et une lumière cauteleuse s’alluma dans son œil.

— Est-ce que vous comptez partir dès ce soir ? demanda-t-il avec un involontaire empressement.

— Je le voudrais, répliqua M. de Presmes, — car il n’y a aucun honneur à gagner contre des bandits, et ce qu’on peut y perdre est immense…

Il poussa un gros soupir en regardant les sièges vides de ses filles.

— Pensez-vous que le danger soit pressant ? demanda Kérizat d’un air bonhomme.

Le vieux veneur secoua lentement sa tête grise.

— J’ai à garder deux bien chers trésors, monsieur le chevalier, murmura-t-il, — et je sais que les Carhoat… vous n’avez point oublié M. le marquis de Carhoat, je pense ?… ont fait dessein d’enlever mes deux filles.

— En vérité ! s’écria Kérizat, dont les yeux s’ouvrirent tout grands, et prirent une expression énergiquement scandalisée, — en vérité, monsieur mon ami !… ces coquins de Carhoat en sont là ! Tubleu ! je suis souverainement satisfait de me trouver votre hôte à cette heure difficile… et je n’ai pas besoin de vous assurer que ma rapière ferait son devoir en cas de malheur.

M. de Presmes lui serra la main chaudement.

— Je ne pouvais attendre moins d’un homme investi de la confiance de Sa Majesté, répondit-il. — Dieu veuille que je n’aie pas besoin de mettre votre bonne volonté à contribution… Il y a peu d’apparence, du reste, car nous quittons Presmes demain matin, sous l’escorte d’un détachement de maréchaussée, que M. le lieutenant général a la galanterie d’envoyer à mes filles.

— Ce détachement est-il au château déjà ? demanda Kérizat, qui jouait admirablement la sollicitude courtoise d’un hôte.

— Non, monsieur le chevalier, répliqua le vieux de Presmes ; mais notre résolution n’a pu encore transpirer au dehors, et il faudrait bien du malheur pour que cette nuit justement !…

— Assurément, assurément, interrompit Kérizat.

— J’ai du reste fait prendre toutes les précautions nécessaires, poursuivit le vieillard. — Le château est en état de défense et organisé militairement, comme si l’ennemi était à nos portes… Les consignes sont rigoureuses et suffisantes,