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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/830

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Le feu s’éteignait sous le manteau de l’immense cheminée.

— Buvons ! dit le vieux Carhoat.

Les verres s’emplirent et se vidèrent, mais il n’y eut point de santé portée.

Quelques secondes de silence suivirent, et Martel se tourna vers le vieux marquis.

— Monsieur mon père, dit-il, ceci est une assemblée de famille. Nous allons traiter la plus grave de toutes les questions. M’est-il permis de demander le nom de cet étranger, et de savoir à quel titre il peut demeurer parmi nous ?

Depuis que Laure était assise, elle fixait sur le chevalier son regard perçant et froid. — Le chevalier perdait sous ce regard sa hardiesse ordinaire. Il baissait les yeux et se sentait mal à l’aise.

À la question de Martel, il tressaillit comme s’il eût entendu une menace de mort à son oreille. Les quatre Carhoat ne se pressaient point de répondre.

Ce fut Laure qui prit la parole.

— Cet homme a nom : M. le chevalier de Kérizat, répondit-elle avec lenteur.

Les sourcils de Martel se froncèrent violemment. Une force invincible le souleva, et il fut sur le point de s’élancer contre cet ennemi que sa haine appelait depuis si longtemps. — Mais il se contint, et un sourire amer vint à sa lèvre.

— Ah ! c’est là M. de Kérizat !… dit-il en saluant. — Je reconnais son droit à rester parmi nous… Et ce qui va se passer le regarde autant que personne.

— Je ne vous comprends pas, monsieur, dit le chevalier qui surmonta son trouble et releva ses yeux sur Martel.

— Vous n’avez pas besoin de comprendre, répondit celui-ci.

Les trois aînés de Carhoat écoutaient inquiets et curieux. Le marquis, calme et grave, se recueillait en lui-même et sentait plus pesant à son front le fardeau de sa honte, au contact de ce jeune honneur.

Laure semblait être changée en statue. La fièvre de sa douleur était passée : il ne restait que le désespoir. — Elle était frappée au cœur.

En quittant la maison de M. le chevalier de Talhoët, un mouvement irréfléchi l’avait poussée vers la demeure de son père, où elle était entrée comme en un dernier asile.

Peut-être, du fond de son malheur, eût-elle adressé des paroles de reproche à son père et à ses frères, qui ne l’avaient ni défendue ni vengée. Mais elle se taisait devant le calme sévère de Martel, parce qu’elle sentait que sa voix serait faible auprès de la voix de ce frère resté pur. Il y avait en elle un instinct qui devinait l’heure du châtiment.

Elle n’adressait à Kérizat, qui venait de tuer son bel amour, ni plaintes ni reproches. Martel était là. C’était l’épée de Carhoat qui sortait enfin du fourreau.

— Mon Dieu ! dit Prégent, qui avait peine à respirer dans cette grave atmosphère, — nous avons fait de notre mieux ce soir et nous avons le droit de souper gaiement… Martel n’est pas si méchant qu’il veut s’en donner l’air… C’est lui, je le reconnais bien à présent, qui m’a ouvert la porte de la prison où m’avait claquemuré le vieux de Presmes… Allons, notre frère le soldat, si nous