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Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/153

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Ils étaient alors au centre de la forêt de Rieux, à deux ou trois cents pas du Château. Sainte, voulant détourner l’entretien, montra du doigt, au hasard, un objet qui se trouvait au bord du sentier.

— Qu’est-ce là, mon père ? dit-elle.

Le docteur leva les yeux il s’arrêta stupéfait. Sainte elle-même tressaillit ; elle se repentit vivement de sa question étourdie.

Au centre d’une étoile, formée par le croisement de plusieurs routes, s’élevait autrefois une croix de bois, dont les bras et la tête, terminés en fleur de lis, avaient éveillé la susceptibilité des Bleus. La croix depuis bien longtemps, gisait à terre, sous la bruyère touffue ; on l’avait remplacée par un poteau routier, surmonté d’un bonnet phrygien.

Mais ce jour-là, les choses avaient changé de face. C’était, à son tour, le poteau républicain qui gisait sur l’herbe, et c’était la croix qui, droite et haute, marquait le centre du carrefour. À son sommet, un drapeau blanc livrait ses longs plis à la brise, et la main du Christ tenait un écriteau sur lequel on lisait le cri de guerre des insurgés bretons et vendéens : Dieu et le roi.

— Dieu et le roi ! s’écria le Médecin bleu avec un amer sourire ; sacrilège alliance du bien et du mal, du sublime et du grotesque ! Il faut qu’ils se croient bien forts pour oser pousser à ce point l’insolence !

— Ils sont malheureux, mon père, dit la douce voix de Sainte ; ne peut-on les plaindre, au lieu de les haïr ?

— Les plaindre ! répéta le docteur, dont les sourcils se froncèrent ; plaint-on le serpent qui vous enfonce au cœur son dard venimeux ? Plaint-on le sanglier qui aiguise ses dents au tronc des chênes, le loup qui attend dans l’ombre sa proie pour la dévorer ?

Il s’interrompit, et dominant sa colère, il reprit :

— Mais je t’effraye, pauvre enfant. Tu es trop