Aller au contenu

Page:Féval - Le chevalier ténèbre, 1925.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ce dix-neuvième siècle où nous sommes passe sa vie au milieu d’événements prodigieux qu’il lui plaît de ne point voir ou de nier, je ne sais pas pourquoi. Moi, je crois, parce que je suis payé pour croire. Je crois au chevalier Ténèbre, le brigand le plus audacieux, le plus invraisemblable, le plus réellement diabolique qui ait existé jamais ; je crois à Ange Ténèbre, le vampire. J’ai vu les pâles restes de ses victimes, dans lesquels vous n’eussiez pas retrouvé une goutte de sang. Quelle est précisément la nature de pareils êtres et comment les rattacher à la création de Dieu, dont les catégories nous sont connues ? je ne sais. La théorie des monstruosités peut aller beaucoup plus loin que certaines défaillances ou que certaines déviations du moule commun. Il peut y avoir aussi des monstruosités dans l’ordre des faits créés qui est immédiatement supérieur à l’homme et, par conséquent, inconnu à l’homme. Puisque la portion de l’œuvre de Dieu qui nous est visible et tangible présente des anomalies, puisque nous rencontrons dans nos rues des bossus, des becs-de-lièvre et des idiots, il se peut que la mort elle-même, ou la vie, si mieux vous l’aimez, ait dans sa marche mécanique des dérangements et des écarts : il se peut que l’argile dont nous sommes pétris traitée occasionnellement par d’autres ait de plus puissants réactifs…

— Monsieur le conseiller privé, mon frère, interrompit ici monsignor Bénédict, je vous supplie de vous arrêter dans cette discussion, où vous côtoyez le matérialisme le plus coupable !

Ceci fut dit avec une douce sévérité. M. le baron d’Altenheimer tendit la main à son cadet et répondit :

— Mon frère, je vous remercie.

— On pourrait expliquer jusqu’à un certain point, insinua Mgr Frayssinous, sans avoir recours à aucune méthode matérialiste…

— Certes, certes, Excellence, interrompit respectueusement le baron ; mais c’est moi qui suis en cause ; j’ai