Aller au contenu

Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le monde des malsaines invraisemblances. L’absurde, ce garde-fou de la route commune, n’existe plus pour eux. Ce sont, la plupart du temps, on ne saurait trop le répéter, de bonnes âmes, ou du moins des âmes naïves. Que de pauvres filles ainsi perdues ! Que de braves garçons détournés du travail prosaïque et affolés jusqu’à l’admiration littéraire du vice ou du vol ! Quand l’opium se vend à deux sous en pleine rue, comment s’étonner de ces idiotes ivresses ?

Mais le fond : car on a beau discourir, tout précipice a un fond. Eh bien ! Échalot, cet abîme, en dehors de l’agence qui était sa gloire, utilisait à la sourdine ses talents pharmaceutiques et fabriquait du poil à gratter pour les charlatans de la place de la Bastille. Nous ne voulions pas vous le dire. Il avait grande honte de cela, et devant Similor lui-même il attribuait à des « trucs » les maigres bénéfices de ce labeur mystérieux. Saladin en vivait, et ce pervers Échalot n’était pas à l’abri de partager son talon de pain avec un pauvre.

Mais comme il eût tué la femme avec plaisir !

Se peut-il que le mal soit de si difficile accès, et la religion du crime imbécile rapporte-t-elle si peu à ses fervents ? Il n’y avait pas même une chandelle à l’agence Échalot. Nos deux amis se couchèrent sans souper.

La lune secourable éclairait seule leurs mouvements et le triste décor qui les encadrait. Le bouge était meublé d’une chaise, de deux banquettes en guenilles, d’une large paillasse abondamment éventrée et d’une table supportant, ma foi ! deux étages de cartons. Qu’y avait-il dans ces cartons ? les affaires de la maison Échalot, parbleu ! Deux ou trois poignées de lambeaux à l’usage de Saladin, et du poil à gratter.

Saladin fut déposé sur la table, entre l’écritoire des-