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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/110

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lier, il est vrai, avec le nom de sa dame aux lèvres et dans le cœur ; mais, encore une fois, Edmée souffrait, tandis qu’au fond, ces chevaliers errants s’amusent.

Edmée avait eu des débuts brillants comme professeur de piano. Elle s’était lancée très vite dans le monde Schwartz. Son talent très réel, doublé par le charme que toute sa personne exhalait comme un parfum, lui marquait une large place qu’elle n’avait pas prise tout à fait parce que son gain la laissait pauvre, et que, pour réussir, même en cette carrière si humble, il ne faut pas rester longtemps pauvre.

Elle était pauvre à cause du rêve de sa mère, qui allait se réalisant dans de très modestes proportions, il est vrai ; elle restait pauvre parce que le prix de ses leçons passait presque intégralement aux créanciers de son père.

Deux fois par an, le petit commerce de Caen, stupéfait, recevait de maigres à-comptes et se disait : « À ce train-là, ces gueux de Bancelle ne nous auront pas payé dans cent ans ! »

Heureusement que la bonne Mme Leber ne travaillait pas jour et nuit, se privant de tout et privant aussi Edmée avec une rigueur Spartiate, pour obtenir la reconnaissance du petit commerce de Caen !

Dans cette médiocrité toujours voisine de l’indigence, il y avait, du reste, du bonheur. Il n’est pas au monde une récompense plus large que la satisfaction de la conscience.

Nous savons comment le pauvre bonheur disparut, comment naquit l’inquiétude, comment vint la maladie du corps et de l’âme. Edmée adorait sa mère qui était sa confidente, cette mère, sanctifiée par la souffrance ; mais toute passion solitaire est en danger d’aboutir à la monomanie. Mme Leber rapportait tout à son idée