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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/111

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fixe ; à son insu, elle voyait dans la beauté d’Edmée un à-compte futur distribué aux créanciers.

Un mariage ! le rêve de toutes les mères ! La vieille dame avait supputé souvent l’à-compte que pouvait représenter la valeur intrinsèque de notre héros Michel. Elle songeait à cela en travaillant ; elle travaillait, travaillait toujours, disant, quand Edmée la grondait, disant de sa voix faible et douce : « C’est un sou de plus pour nos créanciers ! »

Ce soir, Edmée l’avait endormie comme un enfant au récit arrangé de son entrevue avec Mme la baronne Schwartz. Le récit s’était arrêté à la rencontre de M. Bruneau. Mme Leber ne connaissait pas M. Bruneau, qu’Edmée avait salué là-bas presque comme un ami. Pourquoi cette réticence ?

Edmée rêvait, la main dans les mains de la vieille dame que le sommeil avait surprise ainsi. Elle, ne regardait pas sa mère. Ses yeux secs et mornes étaient fixés sur la fenêtre au travers de laquelle ils cherchaient la croisée de Michel.

La croisée de Michel était noire. Edmée se disait : Je ne suis plus rien dans sa vie. Elle aussi avait vu la calèche de la baronne Schwartz dépassant la patache sur la route de Livry. Elle se disait encore : « Ils sont ensemble ! »

Elle se retourna parce que la vieille dame avait fait un mouvement. Sur ses lèvres pâles, qui remuaient lentement, Edmée devina ces mots, toujours les mêmes, exprimant la pensée qui la tenait dans le sommeil comme dans la veille : « Nos créanciers… »

Pour ceux-là, elle eût mendié au coin de la rue.

Edmée baissa les yeux, et ses beaux sourcils se froncèrent.

Elle retira bien doucement sa main de la main de sa