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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/131

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Il s’arrêta comme pour attendre une approbation ou une discussion. Edmée resta muette. Il reprit :

« Dès le début, M. Lecoq me laissa voir qu’il s’intéressait à moi. Si j’avais répondu à ses premières avances, nous serions heureux déjà. Mais, cédant à mes antipathies, renforcées encore par les demi-mots de la comtesse Corona et les calomnies de ce précieux M. Bruneau, je m’éloignai de lui complètement. Je cherchai un emploi : ma retraite de la maison Schwartz me fermait toutes les portes dans la banque et l’industrie ; il courait sur moi des bruits qui semblaient sortir de terre ; j’avais payé l’affection un peu bien romanesque de mon ancien patron par la plus noire ingratitude. Bref, pas d’emploi pour moi dans tout Paris !… Vous fûtes mon refuge alors, Edmée, vous et votre excellente mère : je vous adore trop bien pour parler de reconnaissance. Je travaillai, Dieu sait à quoi : à ceci, à cela, et puis encore à autre chose ; des extravagances qui semblent raisonnables à première vue. Je crois que je voulus être auteur, puis inventeur… un tas de sottises… Je dois noter que je n’étais pas absolument sans ressources. Une main mystérieuse, et vous avez deviné la baronne Schwartz, n’a jamais cessé d’être sur moi… À bout de folies, ma foi, je tentai le jeu…

— La plus dangereuse de toutes les folies ! dit Edmée.

— Savoir ! Pour les sages et les heureux, je ne dis pas. Mais pour ceux qui sont obligés de tenter Dieu, selon l’énergique expression des casuistes, c’est différent : on aime ou on n’aime pas… Je perdis et je signai des lettres de change… non pas une, comme mes pauvres diables de camarades, les dramaturges en graine, ici près, mais plusieurs, mais beaucoup. Et, sur ma parole, mon Edmée chérie, ce fut toujours pour toi. Tu ne me crois pas ? Eh bien ! vrai, tu as tort !