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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/130

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a bien tort de se moquer des romances, qui chantent tout uniment ce que nous parlons… À nos affaires : Quand je quittai la maison Schwartz, j’avais des préjugés contre M. Lecoq ; je croyais même avoir surpris à son endroit quelque dangereux secret, car un mot de passe, qui ne m’était pas destiné tomba une fois dans mon oreille. Certaines gens, dans Paris, se reconnaissent entre eux au moyen de ces paroles en apparence insignifiantes : Fera-t-il jour demain ? Mais tous les mystères de ce genre ne sont pas criminels, la preuve, c’est que, depuis du temps déjà, ce mot de passe sert à faciliter les secrètes relations que j’ai avec ma mère. Dans le métier que fait M. Lecoq on a besoin d’étranges précautions, et ce n’est pas là le plus triste : on est forcé aussi de fréquenter, de soutenir, de payer, tranchons le mot, une clientèle interlope, pour ne rien dire de plus…

— Laisse-moi te demander, prononça Edmée tout, bas, si tu as répété ce mot de passe à M. Bruneau, à l’époque où tu croyais en lui ?

— Peut-être, répondit Michel, mais je suis bon pour régler le compte que nous avons ensemble, M. Bruneau et moi. La vérité, c’est que le métier de M. Lecoq me répugnait autant qu’il peut te déplaire à toi-même. Tu ne vas pas souvent au théâtre, ma belle petite Edmée, et tu lis peu de romans, mais tu n’es pas sans avoir entendu parler de gens qui poussent le dévouement, — ou la passion — jusqu’à accepter des rôles haïssables. Le but est quelquefois noble… quelquefois même héroïque… qui veut la fin veut les moyens : M. Lecoq avait une piste à découvrir, une piste très adroitement dissimulée ; M. Lecoq s’est fait chien de chasse. Moi, je trouve cela net, intelligent et brave. Et toi ? »