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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/146

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quille oreiller, à la dernière heure de cette lutte impossible. Et, depuis près de cent ans, nul n’avait eu son secret par adresse ni par violence.

Il avait été beau, cet homme, très beau, joueur effréné, dissipateur éclatant, bourreau des crânes et des cœurs ; il avait vu, dans sa jeunesse, le grand carnaval des anciennes monarchies ; il s’était moqué de la république, plus tard, riant à gorge déployée de la gloire comme du crime ; il avait fait la guerre sous l’Empire, sa guerre à lui : une suite non interrompue de victoires et de conquêtes qu’il récompensa lui-même en s’attribuant le grade de colonel. Tout bouleversement politique facilite la besogne de ceux qui combattent dans l’ombre. Les chassés-croisés du gouvernement impérial et des deux restaurations couvrirent cette promotion interlope. À l’époque où il a été question du « colonel » pour la première fois dans ce récit, la prescription morale était solidement acquise.

Mais les brevets ? Fadaises. Un homme comme le colonel ne manque jamais d’aucune des choses qui se peuvent fabriquer par l’adresse des mains.

Nous verrons d’ailleurs, quand le dernier mot sera dit, qu’il pouvait avoir réellement un haut grade.

Ceux qui sont justes même trouveront le titre de colonel modeste pour un pareil personnage.

Il avait un autre titre, qui était bien à lui, celui-là, un titre qui le faisait général en chef de toute une effrayante armée.

Et il se mourait là, tout seul, comme un saint ou comme un chien. Où donc était son état-major ?

Et à quoi lui servait le butin de ses innombrables victoires ?

Le plaisir n’a qu’un temps, ou plutôt il change selon l’âge. Depuis des années, le colonel avait mis une sour-