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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/147

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dine à sa bruyante existence. Diable ou non, il s’était fait ermite en devenant vieux. Depuis des années, il végétait paisiblement dans cette médiocrité aisée que le mollusque rentier, suivant l’importance de sa coquille, l’acabit de son équipage et le nombre de ses rongeurs, obtient, chez nous, avec un revenu variant de 30 à 50,000 francs.

Or, l’Habit Noir devait posséder des chapelets de millions.

Personne au monde, personne en dehors du monde, soit parmi les membres de la Camorra péninsulaire, dont il restait le chef suprême, soit, parmi les affiliés qui, à Paris, à Londres, partout, avaient prêté entre ses mains le mystérieux serment de la Merci, personne n’aurait pu dire le chiffre du trésor amassé par l’Habit-Noir.

Il était couché sur le dos, et son corps avait déjà l’attitude des cadavres. C’est à peine si la saillie de ses membres se devinait sous la couverture affaissée. Une barbe de quinze jours, très épaisse encore et blanche comme une couche de frimas, couvrait son visage osseux. Ses yeux fermés disparaissaient au fond de deux cavités dont l’arcade sourcilière et l’os de la pommette formaient les bords, arrêtés brusquement.

Il n’y avait ni amis, ni serviteurs près de lui : pas même ce caniche qui allonge son museau compatissant sur la couverture du pauvre. C’était de la pièce voisine que sa charitable gardienne guettait son souffle court et pénible. Peut-être l’avait-il voulu ainsi lui-même, car sa mort était comme sa vie : bizarre froidement. Dans cette solitude de son agonie, tantôt il pensait, bâtissant des plans pour un avenir qui ne lui appartenait plus, tantôt il délirait tout à coup, mais d’un délire calme en quelque sorte et sans transports.