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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/189

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— Ah ! ah ! fit Gaillardbois, nous voilà loin de la politique !

— Savoir ! cher monsieur, savoir ! Je le vois éclore, ce diable de vol ! Je le caresse et je le couve ! Ne vous y trompez pas : c’est un vol qui fera époque ; un vol à compartiments et à tiroirs, avec prologue et épilogue ; un vol de plusieurs millions, s’il vous plaît, où les gens de l’art ont engraissé la caisse, avant de la manger, comme les gourmets enflent les foies de canards pour les truffer ; un vol calculé algébriquement comme une manœuvre au Champ de Mars, solide et muni d’articulations de rechange comme un plan de bataille, un vol combiné, machiné, monté mieux qu’une pièce féerie en trente-six tableaux et à deux cents personnages. Ah ! sur ma foi ! le progrès marche ! Un vol comme cela en est la preuve triomphante. Il y a entre ce vol et ces choses naïves qu’on appelait des vols autrefois la même différence qu’entre un bidet des messageries et une locomotive ! Et j’en ai vu les préparations, figurez-vous : la mise en train, la mise en scène ; j’en suis les répétitions, et avec quel charme ! Il est à moi, ce chef-d’œuvre, entendez-vous, d’un mot je pourrais en pulvériser l’admirable échafaudage…

— Gardez-vous-en bien ! » s’écria violemment le marquis.

Ils échangèrent un coup d’œil. Celui du marquis désavouait déjà son exclamation ; celui de M. Lecoq perçait en tournant, comme une vrille.

Il sourit et prit le pavillon d’ivoire qui venait d’appeler.

« Vous voyez bien que vous en êtes, » prononça-t-il pour la seconde fois du bout des lèvres et avec une inflexion de voix caressante.

Il approcha en même temps de son oreille le conduit acoustique qui lui dit ce seul nom :