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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/250

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« André Maynotte, l’heure qui approche et qui va vous venger, vous donne-t-elle beaucoup de joie ?

— Voilà bien des années que je l’attends, murmura son compagnon, dont la tête, malgré lui, s’inclina.

— Vous êtes triste, dit-elle encore. Je comprends cela. Votre amour est plus fort que votre haine. »

Puis, avec une soudaine explosion de pleurs :

« Je ne sais pas même si j’ai eu jamais la pureté des enfants. Le démon habitait ce grand château dont le souvenir me poursuit. Je doute de mon père et je doute de cette pauvre femme que je vois toujours agenouillée : ma mère. Ils étaient là dedans ; ils sont morts là dedans. Je ne peux pas songer à mes premiers jeux sans que la perversité même se dresse devant moi sous les traits de Toulonnais. Et ce vieillard qui m’aimait, le seul peut-être qui m’ait aimée, mon aïeul… Puis-je me réfugier dans son souvenir ?

— Rien n’entame le diamant, dit André Maynotte qui l’attira contre sa poitrine en un baiser paternel. Vous avez gardé votre cœur, Fanchette. »

Elle se dégagea d’un brusque mouvement et son rire sec éclata dans la nuit.

« Mon cœur ! fit-elle avec une amertume profonde. Ma plaie où tous ont retourné le couteau ! ceux que je déteste et ceux que j’aime ! Vous allez vous venger, vous, André ; moi, je n’ai même pas la vengeance. Vous avez été deux fois mon malheur et je donnerais tout mon sang pour vous !

« Est-ce que je puis les haïr, s’interrompit-elle, ces deux femmes, mes rivales ? Car j’ai été vaincue deux fois, près du père, près du fils… et c’est justice ! Quel bonheur puis-je donner, moi qui suis le malheur ? Je ne peux pas les haïr, puisque vous les aimez. Je suis ainsi : j’ai la dévotion et le dévouement du bandit. Je