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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/249

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déclin. L’aube n’était pas loin, et cependant l’obscurité devenait de plus en plus complète.

La partie du chemin des Amoureux, classée sous le nom de rue du Haut-Moulin, avait deux ou trois lanternes, mais toute lumière cessait au bout d’une cinquantaine de pas, et la ruelle sombre courait alors en zigzag entre les chantiers. Ce fut de ce côté que M. Bruneau et la comtesse Corona se dirigèrent. La ruelle était déserte comme les rues environnantes. À cette heure qui précède immédiatement son réveil, Paris est une silencieuse solitude.

M. Bruneau et la comtesse Corona marchèrent un instant côte à côte sans se parler ; dans l’ombre épaisse où ils allaient s’enfonçant, la robuste taille du Normand perdait son apparence pacifique et lourde pour prendre une hardiesse cavalière. Sa tête se portait haut et sa poitrine semblait élargie.

« Vous êtes jeune, dit, le premier, Bruneau. La France n’a rien qui puisse vous retenir. Le monde est grand.

— J’ai songé à cela, répliqua la comtesse avec une tristesse si morne que son compagnon eut froid dans le cœur.

— Nous trouverons bien un endroit où vous serez heureuse, dit-il, pourtant.

— Heureuse ! » répéta-t-elle.

M. Bruneau, qui lui tendait la main, y sentit tomber une larme.

« J’ai été à l’église, dit-elle, mais Dieu ne se laisse pas prier comme cela, quand on apporte dans sa maison un cœur tout plein des choses de l’enfer. Je n’ai jamais pensé à Dieu si souvent qu’aujourd’hui. Je n’ai plus la force de vivre et j’ai peur de mourir ! »

Ses deux mains froides étaient dans celles de M. Bruneau. Elle reprit d’un accent étrange :