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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/259

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l’espoir suivi de tout son cortège de beaux rêves. Ils avaient entrevu la possibilité de tuer la femme !

Les deux jeunes gens, leurs voisins, mordus par le théâtre à un autre point de vue, avaient eu la cruauté de rire de leurs modestes prétentions ; car, croyez-le bien, Échalot et Similor n’auraient pas pris cher pour tuer la femme. Et cela leur eût coûté, parce qu’ils avaient l’âme sensible !

Depuis lors, ils voyaient la vie en noir. Il faut se raisonner pour arriver à vouloir tuer la femme. Quand on a fait ce travail d’esprit et de cœur et que, la résolution une fois prise, vaillamment, sérieusement, à fond, la femme manque, le vide de l’existence apparaît tout à coup ; on voit, à n’en pouvoir douter, que la vie est un monstrueux tas d’illusions, et qu’il n’y a rien de vrai ici-bas, sinon la misère.

Tel était le cas d’Échalot et de Similor. Ils avaient passé la nuit du dimanche au lundi à dormir un sommeil fiévreux, plein d’aspirations impossibles : Similor se vautrant avec l’emportement de sa riche nature au sein des orgies les plus touffues, Échalot rangeant un petit ménage imaginaire et plaçant à la caisse d’épargne le prix du carnage, accompli dans des conditions respectables.

Pour l’un, c’était la barrière, ce vineux paradis des bouteilles cassées, des femmes débraillées, la « danse des salons », les rivaux boxés, l’odeur enivrante de la cuisine, la fumée des pipes : le tremblement, quoi ! comme chantait le délire de sa belle imagination. Il ne voyait là dedans que lui seul. Rien pour l’ami fidèle, rien pour l’innocent rejeton. Ces viveurs sont ainsi.

Pour l’autre, c’était le chez soi, des draps dans le berceau, deux litres flanquant sur la table un plat copieux de petit-salé, un peu de feu dans un bon poêle,