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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/260

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deux onces de caporal au fond d’un pot et une pincée de pièces blanches dans le gousset : Similor heureux, Saladin endormi, ou souriant de toute la largeur de sa pauvre grande bouche, barbouillée de lait maigre.

Voyez la différence qui peut exister entre deux organisations simples, formées à l’école du malheur !

Le point de départ était le même : la femme tuée ; mais quel usage opposé Échalot et Similor faisaient de leurs légitimes bénéfices !

Au réveil, Échalot revit la mansarde nue. Saladin criait dans sa bourriche. Similor, en rouvrant les yeux, constata qu’il n’y avait là ni bouteilles ni femmes. Ce sont d’amers instants.

La toilette de nos deux amis n’était pas généralement une opération compliquée. Similor avait de la coquetterie, mais cette vertu, chez lui, n’allait jamais jusqu’aux ablutions. Il démêlait ses cheveux à l’aide d’un atroce fragment de peigne et fatiguait ses loques à force de les brosser, voilà tout. Échalot, foncièrement propre, époussetait son tablier et raclait ses mains avec une vieille lame de couteau qui servait aussi à l’entretien de sa chaussure. On n’est pas maître de cela : l’eau fait horreur.

Inutile d’ajouter qu’ils dormaient en grands costumes, sauf le chapeau gris et le chapeau de paille qui chômaient pendant la nuit.

« Allons ! dit Similor avec un soupir profond, j’en ai fait de crânes songes !

— Mais ils fuient au réveil comme une vapeur légère ! répliqua Échalot, doucement résigné.

— La coquine l’a encore échappé ! » gronda l’ancien maître à danser.

Il s’agissait, bien entendu, de la femme à tuer.