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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/289

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d’un ivrogne. Il atteignit Edmée, et, la saisissant par la taille avec brutalité, il balbutia d’une voix avinée :

« Nous cherchons donc comme ça des mignonnes aventures toute seule, la nuit, dans les rues, mon petit amour ? »

Edmée, éveillée de sa torpeur en sursaut, esquiva son étreinte et recula de plusieurs pas en chancelant. L’homme aux lunettes bleues avait senti le brassard sous son mantelet. Si ce n’était pousser l’invraisemblance jusqu’à l’absurde, nous penserions que le brassard était précisément l’objet convoité par son audacieuse galanterie, car il resta un instant comme stupéfait de cette découverte.

Et, en réalité, s’il connaissait Edmée Leber, il pouvait bien connaître le brassard.

Son hésitation fut de courte durée.

Il bondit en avant, donnant à sa voix les accents oxydés et rauques de la complète ivresse :

« Oh ! tu fais des manières, mademoiselle ! s’écria-t-il, titubant sur ses jambes et agitant ses bras en des gestes extravagants. Tu dédaignes un simple citoyen, parce qu’il n’a pas de carrosse, mademoiselle ! Vas-tu finir ! C’est un Français qui t’offrait son cœur, mademoiselle ! À bas les gendarmes, mademoiselle ! Vive la ligne, mademoiselle ! On va te faire un sort malgré toi, mademoiselle ! »

C’était de l’ivresse à la Frédérick-Lemaître : un peu trop bien faite.

Mais notre pauvre Edmée n’était pas expert-juré en fait d’ivresses. En outre, elle n’avait pas le sang-froid qu’il fallait pour juger.

Elle fut prise de cette instinctive épouvante qui étreint la poitrine des enfants à l’aspect d’un danger