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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/359

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sutes : la figure de Trois-Pattes, l’estropié de la cour du Plat-d’Étain.

Elle recula, chancelante, et balbutia :

« Ce n’est pas lui ! »

En ce moment, il n’y avait qu’un point lucide dans son cerveau douloureusement exalté. Le voir : telle était son unique pensée. Elle avait tout oublié, hormis cela. Elle n’était, il faut l’exprimer nettement, ni la femme du baron Schwartz, ni la mère de Blanche ; elle était seule, elle était libre ; l’égoïsme de la passion victorieuse la tenait ; toutes les imprudences, elle les eût commises ; toutes les menaces, elle les eût bravées ; il n’y avait rien au monde, rien de terrible ou de sacré qui pût faire obstacle à son élan. Si son premier regard lui eût montré, au lieu de ce misérable, André, je dis André vieillard, lépreux, criminel, déjà, elle eût été dans ses bras !

Ce n’était pas lui ! Son premier mouvement fut de s’enfuir.

« Je viens de sa part ! » dit une voix morne qui l’arrêta comme si une lourde main se fût posée sur son épaule nue.

Jamais le mendiant de la cour du Plat-d’Étain n’avait parlé en sa présence ; d’un autre côté, cette voix ne ressemblait nullement à celle qui vibrait dans son souvenir, et pourtant cette voix la fit tressaillir de la tête aux pieds.

« Pourquoi n’est-il pas venu ? murmura-t-elle sans avoir conscience de ses paroles.

— Parce qu’aujourd’hui comme autrefois, lui fut-il répondu, il est accusé, c’est-à-dire condamné.

— Ah ! fit-elle en reportant malgré elle ses yeux sur l’estropié, car cette voix inconnue la troublait et la tourmentait plus cruellement, s’il est possible, que les