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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/363

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compris. Elle songeait. Dans ces brumes où la pensée se noie et qui ressemblent à un délire imparfait, il surnage une étrange faculté de percevoir certaines combinaisons, frivoles ou naïves. Elle songeait, se disant : Parfois, ces excès de rudesse servent de voile à une immense pitié qui craint de se trahir…

Le roman est le dernier refuge des condamnés.

« Je dois partir demain, s’écria-t-elle. Je veux le voir cette nuit. Je risquerai ma vie pour le voir, ne fût-ce qu’un instant. Où est-il ? J’irai. »

Les sourcils de M. Mathieu se froncèrent. Elle lui sourit comme les enfants qui veulent conjurer Un courroux avec une caresse.

« Je sais, je sais, dit-elle doucement, vous avez hâte. Vous n’êtes pas venu pour moi. Il ne m’aime plus, et n’est-ce pas là une juste peine ? Mais vous êtes bon, puisqu’il vous a dit son secret. Devinez-vous comme je souffre ? Monsieur… pauvre monsieur… allez ! vous n’avez pas besoin de dix minutes pour me parler comme on commande à une esclave. Vous venez de sa part : tout ce que vous voudrez, je le ferai…

— Il n’y a plus que cinq minutes, dit l’estropié, dont la voix, toujours rude, avait des intonations plus rauques.

— C’est trop pour obéir, fit-elle, abandonnant l’appui de la cheminée, chancelante qu’elle était. Pour dire un mot il ne faut qu’une seconde. Et pour parler de lui, moi, je n’ai plus que cet instant si court. Oh ! regardez-moi, j’ai les mains jointes ! S’il me voyait, il aurait grand’pitié… J’ai été folle, tout à l’heure… un torturé, terrassé… comme vous l’êtes… pauvre monsieur… »