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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/364

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Elle ne marchait pas, et cependant la distance diminuait entre eux.

Et certes, il y avait ici un fait inexplicable. La rudesse de cet homme avait porté à faux constamment.

Pourquoi ne prononçait-il pas le mot qui devait trancher l’entretien ?

Là-bas, dans l’antre de Lecoq, il s’était vanté d’aimer les femmes. Et Lecoq avait souri en philosophe qui regarde tranquillement les plus hideuses excentricités. Sommes-nous en présence d’un satyre ou d’un vampire, buvant le sang d’une agonie ?…

Certains auraient cru cela, car de mystérieux tressaillements trahissaient parfois la vie dans cette masse de chair pétrifiée.

Julie poursuivait :

« Pauvre monsieur… plus brisé, plus broyé encore que vous ne l’êtes… et mon cœur répondait : je l’aimerais ainsi… je l’aimerais cent fois, mille fois plus que la parole ne sait le dire… Ayez compassion, je suis folle, sans doute… et je parle malgré moi… j’ai pensé à tout, même à l’échafaud ! Je l’aimerais sur l’échafaud ! Je l’aimerais victime… Je l’aimerais bourreau ! »

Ce dernier mot jaillit de ses lèvres frémissantes comme le cri d’une idolâtrie suprême.

La respiration de l’estropié devint courte, mais il ne bougea pas.

Julie reprit, rejetant en arrière à pleines mains le voile importun de sa chevelure :

« Je suis belle ; Dieu m’a gardé cela pour lui. Si vous saviez comme il m’aimait autrefois. Moi… Oh ! j’ignorais mon propre cœur… C’était lui qui m’avait dit : Ne va pas en prison… Maintenant, s’il me disait : Ne viens pas en enfer !…

« Vos yeux ont brillé ! s’interrompit-elle avec un