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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/412

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Aussi, voyez, dès que Dieu a atteint la pensée, le bras s’est paralysé !

« Je sais, je suis le seul à savoir le vrai nom de celui que vous appeliez le colonel Bozzo Corona. Si Paris entendait ce nom, Paris tout entier viendrait en pèlerinage à sa tombe. C’était un vieux tigre ; il avait choisi pour mourir la seule jungle qui soit en Europe. Le dernier des bandits légendaires avait quitté dès longtemps ces forêts calabraises, où le pillage et le meurtre n’ont qu’un indigent produit. Il chercha un jour, et il trouva la grande forêt, la vraie forêt, la forêt de Paris, où le monde entier passe, caravane incessamment chargée de richesses.

« Ici, à Paris, après des années de victoires, l’ancien héros de grand chemin s’est éteint sous vos yeux, dans son lit, et vos cartes de visite emplissent une corbeille chez le concierge de son hôtel.

« Vous l’aviez sacré philanthrope : nul d’entre vous n’avait reconnu le diable sous sa robe d’ermite. Autour de sa tombe, vous étiez rangés, écoutant des panégyriques.

« Dès son vivant, il avait assisté à son apothéose, et Paris tout entier avait chanté en chœur la légende de ses exploits. Je le vis une fois, en un théâtre subventionné par l’État, assis sur le devant d’une loge illustre, sourire en écoutant la musique d’un membre de l’institut, adaptée au poëme d’un académicien qui était l’épopée de ses anciennes fredaines. Paris célèbre volontiers les bandits ; aussi les bandits aiment Paris. Paris et le bandit s’applaudissaient, en vérité, l’un et l’autre dans cette élégante salle de l’Opéra-Comique, où celui qui vole et qui violente eut, de tout temps, auprès des charmantes femmes et des hommes intelligents le droit imprescriptible de bafouer la loi, représentée par les gendarmes.