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Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome II.djvu/92

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Allons donc ! ce vieux monde ne produit plus ! Il venait en droite ligne d’Amérique, où M. Barnum attendait son retour pour le montrer, pour l’exhiber, à raison de dix dollars par fauteuil et par soirée. Jonathan Roe, du Kentucky, du Tennessee ou de la Virginie ; un ours superbe, plein de thé, de jambon, de grog et d’eau-de-vie menthée. Son père avait quinze cents esclaves et des idées républicaines ; sa mère était une Pawnie-Louve qui portait ses boucles d’oreilles au bout du nez. Il avait un porte-cigare à douze coups, un parapluie à baïonnette et des cure-dents poignards…

Madame, au nom du ciel, ce sont là des bourdes malsaines ; facéties de la petite presse : n’y croyez pas. Avez-vous vu un Anglais millionnaire ? un membre de la Chambre haute ? un marchand de coton de Manchester ? un coutelier de Birmingham ? lord Thompson ou master Thompson ? Regardez-moi ce facies sérieux, rouge, flasque, fier, apoplectique. Voilà notre homme ! il tromperait Vidocq ! Vous qui ne vous baissez jamais, vous seriez tenté de lui ramasser son foulard. Il a l’air d’un cockney poussé à la treizième puissance, d’une pomme de terre déguisée en betterave et baragouinant le pur baragouin des dupes. C’est l’Anglais des chansons, des comédies et des caricatures. Demain il achètera une brouette pour remporter son abdomen. Voilà notre homme ! Les sergents de ville arrêtent ceux qu’il vole, tant il a l’air d’un brave Saxon !…

Vous n’y êtes point ! L’Habit-Noir : ce mot dit tout. Ne voyez-vous pas un jeune puritain sec, grave, précis, méthodique, tout battant neuf, habillé de la soutane de Genève ? Rien de plus commode que l’uniforme des quakers pour cacher une bonne lame et un trousseau de fausses clés. Ah ! qu’il regarde bien les gens en face, de son œil franc, légèrement somnolent ! Comme il