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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/151

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redoublement d’éloquence dans l’aspect d’un innocent persécuté.

Le fin mot de la chose, c’est que mon collègue avait une belle sur le chemin de la prison et qu’il désirait passer sous ses fenêtres, dans l’espoir d’apercevoir sa prunelle noire.

L’entrevue, avec l’accusé, n’offrit rien de palpitant. Le fait est qu’il n’avait pas l’air d’un jeune homme destiné à commettre de gros méfaits, nonobstant le cheval qui l’avait conduit en prison.

Nous nous séparâmes en nous disant :

— Nous le sauverons.

Le lendemain, X. consacra sa journée à étudier les témoignages et moi à préparer ma harangue. En nous retrouvant le soir, nous eûmes la même pensée, la même exclamation :

— C’est un grand coupable.

— Mais nous le sauverons.

L’examen et les réflexions des jours suivants fortifièrent cette conviction, sans ébranler notre résolution. Il nous paraissait évident que nous avions sous nos soins un adroit coquin. Nous éprouvions bien par avance quelques remords de le ravir au glaive de la justice ; mais ce scrupule devait-il aller jusqu’à nous faire perdre notre première cause ?

— Nous le sauverons, s’écria mon collègue.

— Nous le sauverons, répondis-je en chœur.

Nous attendions avec hâte le jour du procès. Le grand jury tardait bien, au gré de nos désirs, à faire son rapport. Enfin il le fit. Nous étions en Cour, mon collègue et moi, pour demander à ce que le procès fut fixé le plus tôt possible.

La preuve contre notre client était si peu concluante, son innocence apparut avec tant d’éclat aux yeux du grand jury, qu’il fut renvoyé immédiatement des fins de la plainte.

Le geôlier lui fit même des excuses de l’avoir retenu si longtemps en prison et lui en ouvrit les portes à deux battants.