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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/152

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Le coup qui brisait les chaînes de l’accusé, fut rude pour ses défenseurs, dont cet acquittement prématuré étouffait l’éloquence. Mon collègue surtout, qui ne devait pas parler, mais qui maintenant regrettait l’occasion perdue, mon collègue était consterné.

— Nous l’aurions sauvé, me dit-il en sortant du tribunal.

— En es-tu bien sûr ? lui dis-je. Quant à moi, j’estime qu’il a agi prudemment en se faisant acquitter par le grand jury. Il se serait peut-être noyé avec nous.

Cet incident décida de ma vocation. Il n’y avait pas à en douter, je ne savais pas distinguer un innocent d’un coupable. Le flair juridique me manquait. Sur l’heure, je donnai ma robe à un pauvre garçon qui venait de se faire admettre au barreau, faute de mieux, et qui, depuis, est sournoisement passé huissier dans un autre district.

Voilà pourquoi, moi, de mon côté, d’avocat je suis devenu chroniqueur pour vous servir.


Les vacances du pays légal approchent et les plaideurs obstinés voient venir avec terreur ce congé, cette récréation accordée aux débiteurs malheureux. Ils ne se figurent pas que les avocats aient besoin de deux mois de silence.

Il y a des gens qui ont l’habitude d’aller tous les jours faire leur petit tour au Palais. Ils en connaissent tous les détours. Lorsqu’un plaideur y vient pour la première fois, ils le distinguent à l’embarras qu’il éprouve à trouver son avocat.

Ces gens-là entrent au tribunal comme chez eux, et, tout en s’occupant de leur propre affaire, apprennent sur le bout de leurs doigts celles des autres. Ils vont d’abord au greffe prendre une prise de tabac dans la tabatière toujours ouverte d’un fonctionnaire aimable. C’est comme un coup d’appétit. Puis, ils recueillent les nouvelles. Soyez sûr cependant qu’ils savaient déjà tout. Ils n’aiment pas à avoir l’air de recevoir