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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/40

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BALS D’ENFANTS

au grenier, coin des souvenirs. Si, tenté par la fraîcheur de leurs joues, et pressé de jouir légitimement de ce qui vous sera interdit plus tard, vous essayez de les embrasser, selon votre bon plaisir et votre droit, vous êtes accueilli avec mauvaise humeur ; le petit être vous accuse de le défriser ou de chiffonner sa dentelle. J’ai voulu cet été embrasser un bambin, qui a refusé mon accolade d’un geste mortifiant en disant :

— Entre homme, mon cher, on ne s’embrasse pas.

C’est là une des faces du progrès alarmant du luxe parmi nous. Hélas ! les robes d’indienne s’en vont ; il n’y a que les hommes qui les aiment ; que quelques fidèles qui en aient le fanatisme. Comme c’est joli pourtant les robes d’indienne ! comme c’est frais, léger, charmant ! C’est la toilette de quinze ans, c’est la robe que l’on a mise à tous ses rêves de clerc et de rimailleur ; c’est la toilette de la gaieté, de l’insouciance, de la jeunesse ! toutes les héroïnes que nous avons logées dans notre cœur et dans une chaumière, (à l’âge où l’on croit aux chaumières) portaient des robes d’indienne ; celles qui ont eu les primeurs de nos cœurs, la première fleur de notre imagination, portaient des robes d’indienne.

Mais je reviens aux bals d’enfants. Pendant que les enfants imitent les fillettes, celles-ci font du sentiment avec des écoliers, ayant, pour la plupart, cette laideur inachevée et gauche qui caractérise l’espèce humaine aux abords de l’adolescence. Ces jeunes gens sont éloquents et nuageux ; ces demoiselles sont émues. Ils ne disent que des niaiseries sentimentales empruntées à la rhétorique du mauvais goût, qui n’ont rien de commun avec les sentiments vrais et sincères. Ils se donnent des ridicules qui ne sont pas de leur âge, et s’imposent les ennuis et les tourments de sentiments dont ils ne savoureront que plus tard la fraîcheur et les douces joies.

Voici ce que j’ai entendu dire à un jeune écolier s’adressant à une fillette, un soir que je regardais ce petit monde danser mieux que père et mère :