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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/39

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BALS D’ENFANTS

certaines vertus rigides les pécheresses vénielles qui sont la parure et la joie de nos salons. Mais il vaut mieux que je me contente de dire que les observations de Madame Trincano sont d’une vérité saisissante, et que les coups dont elle frappe les poitrines sont contrits et spirituels.

Dans une de ses conférences, Madame Trincano a parlé des bals d’enfants, qui ont eu lieu, en grand nombre, dans les familles canadiennes à Montréal, l’été dernier. Le tableau qu’elle en a tracé était d’une justesse de ton et d’une exactitude telles que celles mêmes qui y figuraient ont reconnu leurs bonnes amies. Si j’avais ce tableau, je n’aurais qu’à le suspendre ici, et ce serait le plus beau jour de cette modeste chronique ; mais je ne puis offrir qu’une simple esquisse sur le même sujet.

Le premier tort de ces bals d’enfants, c’est d’être des concours ouverts à la vanité, de petits théâtres de luxe, des expositions de toilettes ; les triomphes sont pour les mères prodigues, au lieu d’être pour les mères sages, prévoyantes, économes.

On habille les petites filles comme s’habillaient les demoiselles, il y a quelques années, et comme personne ne s’habillait il y a vingt ans. On leur fait danser des quadrilles dès le bas âge, comme si elles n’avaient pas le temps d’en danser de dix-huit à cinquante ans ; — on leur met des robes de soie avec falbalas au sortir du berceau ; — les étrangers cessent de les tutoyer à leur première dent, les parents éloignés aux molaires. Une fois dans le monde, elles se pincent, se renfrognent, posent pour la gravure de mode ; — elles ne savent plus courir, gambader, rire aux éclats, déchirer leur robe, se barbouiller de confitures, escamoter la perruque de leur oncle, et vider dans la poche d’un visiteur enrhumé, la tabatière de leur grand-père. Elles ont des gants jaunes comme leur père, les jours de bals et de noces ; elles ont un sourire grave comme leur grand’mère dans le portrait qui est