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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/51

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LE JOUR DE L’AN

Sachez qu’une femme ne peut pas faire autrement que les autres femmes, sans se compromettre et s’exposer à ces mille et mille traits de la critique amicale qu’elle redoute d’autant plus qu’elle excelle à les lancer. Le monde féminin est régi par une multitude de lois dont le détail échappe à la grossière perception des hommes et qu’aucune femme n’a le courage de secouer. La police de ce petit monde, gracieux et charmant au dehors, à ce que vous dites, rempli au dedans, à ce que je sais, de petites passions, de malice et d’envie, la police est faite par la critique la plus vigilante et la plus aiguisée. Il faut de l’héroïsme de la part d’une femme pour braver les autres femmes ; quant aux hommes, ce qu’ils disent ne nous importe que lorsque nous les aimons. À coup sûr, je meurs d’envie de ne pas recevoir au jour de l’an, et cependant, je recevrai ; et cela, parce que je n’ai pas de raison à donner à mes bonnes amies pour m’excuser de n’avoir pas reçu leurs maris, qui, accablés de visites à faire et bien pourvus de cartes, seraient cependant enchantés de ma discrétion. Les unes diraient que je n’ai pas reçu parce que j’avais mauvais teint, ajoutant que cela m’arrive plus souvent qu’à mon tour depuis quelque temps ; les autres insinueraient que l’absence d’un valseur quelconque avec lequel j’ai dansé deux ou trois fois sans conviction au dernier bal, m’inspire ce goût soudain pour la solitude…, etc. Il me faut donc bon gré mal gré subir la loi générale ; je m’en console en donnant à ma toilette toute l’attention que je suis censée prêter à la conversation de mes visiteurs, et je me venge de la corvée que m’impose le respect féminin en remportant le prix de beauté.

Lancée dans les entraînants sentiers du paradoxe, mon interlocutrice transporta bientôt la conversation dans un ordre de considérations plus générales ; puis, revenant à son point de départ, elle résuma son opinion à peu près comme suit :

— Ce que je condamne surtout dans le jour de l’an et ce qui révolte mes libres penchants et mes instincts d’indépen-